FOOTBALL FÉMININ

Aimé Jacquet : « Fierté et émotion »

mercredi 5 juin 2024 - 13:22 - Claire GAILLARD
Aimé Jacquet France-Angleterre 4 juin 2024

À l’origine du développement et de la structuration du football féminin avec notamment la création du Pôle France à Clairefontaine, l’ancien Directeur technique national de la FFF, sélectionneur des champions du monde 1998, porte un regard ému sur l’évolution de la pratique. 

Il n'aurait manqué le rendez-vous pour rien au monde. Aimé Jacquet (82 ans), ancien Vert, était, mardi 4 juin, l’invité d’honneur du rassemblement des Bleues de 2002, qui ont reçu un bel hommage au stade Geoffroy-Guichard de Saint-Étienne dans le cadre du match France-Angleterre (1-2), comptant pour les éliminatoires à l’Euro 2025. Une affiche qui en rappelait une autre. Il y a vingt-quatre ans, le 16 novembre 2002, les joueuses d’Élisabeth Loisel disputaient à ces mêmes Anglaises, dans le Chaudron, un billet pour la Coupe du monde lors d’un barrage retour. À la clé ? Une victoire 1-0, comme à l’aller en octobre, synonyme de première qualification pour un Mondial, un record d’affluence (23 680 spectateurs) qui a tenu jusqu’en 2016, un record d’audience pour cette rencontre diffusée sur Canal+ et commentée par Thierry Gilardi et Aimé Jacquet. Un match charnière dont se souvient le sélectionneur champion du monde 1998 alors Directeur technique national qui avait impulsé le développement de la pratique féminine dans la foulée de cette première étoile décrochée. Avant France-Angleterre, dont il a donné le coup d’envoi fictif dans la soirée, Aimé Jacquet a ouvert, en exclusivité pour FFF.FR, la boîte à souvenirs et s’est réjoui du chemin parcouru.

« Que représente pour vous cet hommage à l’Équipe de France féminine et aux anciennes internationales qui, en 2002 à Saint-Étienne, ont validé le premier billet de l’histoire des Bleues pour une Coupe du monde ? 
J’ai deux sentiments : de l’émotion et de la fierté. Émotion parce que je me rappelle tous les combats qu’il a fallu mener pour faire accepter le football féminin. Je ne suis pas le seul, il y en a beaucoup d’autres qui ont travaillé bien avant moi mais on a eu cette période charnière où nous sortions de la Coupe du monde 1998, auréolés de notre titre de champion du monde chèrement acquis et il y avait une aspiration. Je me rappelle avoir dit : ‘‘Il faut qu’on fasse quelque chose pour nos filles’’. Beaucoup avaient travaillé avant cela mais ça a été le début de la fierté que je ressens car toutes les filles qui sont venues à Clairefontaine, qui ont joué au football dans des conditions ô combien difficiles – venir à Clairefontaine jouer au foot, repartir faire ses études ou travailler – ont été admirables. Ce sont elles qui sont à la base de cette réussite, qui sont allées chercher cette reconnaissance et ce respect. Quand j’étais ce midi avec la nouvelle génération, j’ai ressenti cela avec beaucoup d’émotions parce que je me suis dit : ‘‘C’était bien le départ et on ne l’a pas manqué’’. C’était le début de l’histoire. On le doit aux joueuses. La manière dont elles ont pris l’ascendant dans ce travail, dans cette relation, je trouve que c’est respectueux.

Avez-vous dû convaincre pour amorcer ce développement ? 
Oui mais j’étais dans les meilleures conditions car du travail avait déjà été fait et on avait Clairefontaine, la maison du football. On venait de créer un outil de travail exceptionnel. On était la première fédération au monde à le faire. Nous avions Clairefontaine et les filles y avaient leur place. J’ai dit qu’il leur fallait un bâtiment. Cela n’a pas été difficile mais il a fallu expliquer. Beaucoup étaient réticents ou n’y croyaient pas trop mais ce premier pas a été un pas de géant. Avoir nos meilleures joueuses ici, s’entraîner tous les jours, retourner dans leurs clubs défendre leurs couleurs, revenir la semaine à Clairefontaine… C’était exceptionnel.

« Il fallait ce maillage territorial (...) Le DTN que j’étais savait tout grâce à ces hommes de terrain qui, en plus, s’obligeaient à lancer le football féminin. Cela nécessitait un budget important mais tout le monde a fait beaucoup d’efforts et je trouve qu’on ne s’est pas trop mal débrouillé ! En peu de temps, la locomotive a été lancée sur les rails et ensuite, c’est devenu plus facile de travailler. »

 

Outre la création de ce Pôle France, une autre décision forte fut la mise en place de Cadres techniques dédiés au football féminin dans chaque région… 
Il fallait ce maillage territorial. La Fédération a été exemplaire. Quand j’ai découvert la FFF en 1992, j’ai découvert une entité avec une organisation pyramidale où il y a les responsables départementaux, régionaux puis nationaux. On savait tout, ce qui se passait en Bretagne, en Alsace, partout. Le DTN que j’étais savait tout grâce à ces hommes de terrain qui, en plus, s’obligeaient à lancer le football féminin. Cela nécessitait un budget important mais tout le monde a fait beaucoup d’efforts et je trouve qu’on ne s’est pas trop mal débrouillé ! En peu de temps, la locomotive a été lancée sur les rails et ensuite, c’est devenu plus facile de travailler.


Avec les anciennes internationales de 2002 et les membres du staff dont la sélectionneure d'alors Élisabeth Loisel sur la pelouse de Geoffroy-Guichard avant le coup d'envoi (photo Zoé JEULIN / FFF). 

Quels souvenirs conservez-vous de ce barrage retour décisif et historique contre l'Angleterre, le 16 novembre 2002 ? 
C’était extraordinaire. On avait convaincu Canal+ avec Thierry Gilardi, Monsieur Michel Denisot et bien d’autres de téléviser la rencontre afin de rendre visible notre Équipe de France féminine, qui jouait à Saint-Étienne dans un stade avec une capacité de 25 000-30 000 personnes. A l'époque, les Anglaises étaient un peu au-dessus de nous mais il y avait de l'euphorie car on venait de les battre chez elles (1-0, but de Marinette Pichon). Ce match était de la folie, c’était une récompense pour cette génération. Elles ont répondu présentes. Magnifique. Il n’y a même pas de discussion. On n’a pas surclassé le match car avec les Anglaises il faut toujours faire attention mais on l’a maîtrisé avec beaucoup de conviction, de réalisme et même d’audace parfois. Et puis il y a ce but de Corinne Diacre, elle est éternelle pour nous. Je me souviens quand elle est arrivée au stage pour devenir entraîneure professionnelle, la première femme à se présenter parmi tous ces hommes ! Cette qualification pour la Coupe du monde est la récompense du travail de ces filles. De la détermination dont elles ont fait preuve lors des deux tours de barrage. Élisabeth (Loisel) avait tellement travaillé pour ça. 

Ce jour-là, vous étiez aux commentaires du match sur Canal+… 
Avec Thierry Gilardi, en effet. C’était extraordinaire. On était tellement heureux que cette Équipe de France rayonnante, pleine de joie et d’envie, décroche ce billet historique pour la Coupe du monde. Auparavant, Aimé (Mignot), avec Élisabeth (Loisel) comme adjointe, avait beaucoup travaillé également pour permettre aux joueuses de progresser. C’est une convergence. Il faut attendre une convergence. Je me souviens quand j’étais au Conseil fédéral en tant que DTN, j’écoutais, je trouvais qu’on évoquait un peu vite le sujet du football féminin et puis un jour, il s’est passé quelque chose avec l’assentiment du président de la FFF de l’époque Claude Simonet. Il a été courageux parce que ce n’était pas évident. Il a fallu aller convaincre. Cela représentait un budget. Je dois dire que tous les techniciens de la FFF ont été exemplaires et plein d’idées ont germé à droite ou à gauche pour permettre de s’améliorer. Le souci permanent, c’est de renouveler ce vivier. Il y a plein de filles qui voulaient jouer, elles ne pouvaient pas car il n’y avait pas assez d’encadrement, de clubs ou ils étaient trop dispersés. Aujourd'hui, quand je vois le rayonnement de ces jeunes joueuses, je me dis quelle évolution et quels progrès ! 


Après leur succès contre l'Angleterre dans le Chaudron le 16 novembre 2002 (1-0), les Bleues et leur capitaine Corinne Diacre fêtent la qualification historique pour la Coupe du monde 2003 (photo Alain GADOFFRE / ONZE / ICON SPORT).  

Justement, quel regard portez-vous sur les Bleues d’aujourd’hui ? 
À l’image du dernier match que j’ai vu à la télévision, vendredi en Angleterre (2-1), je me suis dit : ‘‘Là, quelque chose est en train de se passer’’.  J’ai été admiratif car on a enfin compris qu’avant de jouer au football, il y a un combat à disputer. Un combat psychologique et un combat physique qu’on a accepté. Là, je crois que le pas est franchi. Cela laisse augurer de beaux jours tout en sachant que dans le football rien n’est acquis, c’est un éternel recommencement. Mais je suis très optimiste surtout que j’ai échangé avec les filles qui travaillent dans la formation, notamment Peggy (Provost) qui a été championne d’Europe avec la sélection U17 féminine en 2023. Elle m’a dit qu’il y avait un vivier derrière et du talent chez les jeunes. Le football français masculin a été sauvé par les centres de formation et les centres de pré-formation. Il n’y a pas de raison qu’un jour nos filles ne soient pas récompensées.

« Hervé Renard ? Dans le football féminin, il est bon de temps en temps d’avoir des gens qui ont un profil différent et qui amènent autre chose, une autre vision, une autre sensibilité, une autre manière d’opérer et d’organiser. C’est ce genre de petites choses qui font parfois les grandes histoires et les différences. »

 

Vous avez rencontré avant le déjeuner les Bleues ainsi que le sélectionneur Hervé Renard et son staff, comment s’est passé ce moment ? 
Hervé pour moi a un cheminement exceptionnel, pas facile. Il a été partout, il s’est accroché, il a été dans des combats, en Afrique notamment. C’est peut-être le moment grâce à son expérience internationale, qui peut faire basculer le destin des Bleues. Dans le football féminin, il est bon de temps en temps d’avoir des gens qui ont un profil différent et qui amènent autre chose, une autre vision, une autre sensibilité, une autre manière d’opérer et d’organiser. C’est ce genre de petites choses qui font parfois les grandes histoires et les différences.


Rencontre avec l'actuel sélectionneur Hervé Renard mardi midi qui lui a remis un maillot floqué à son nom (photo Zoé JEULIN / FFF).

La Fédération Française de Football compte plus de 250 000 licences féminines, le président de la FFF a fixé un objectif à 500 000 d’ici 2025. Un plan de développement du football féminin de haut niveau est en cours avec notamment la professionnalisation des clubs et la création de la Ligue féminine pro. Est-ce la suite logique ? 
C’est fantastique. Il faut toujours être ambitieux et je suis très optimiste. J’avais une petite crainte il y a quelques années où, très modestement car ça fait longtemps que j’ai décroché et ne me permets pas d’émettre un avis, pour avoir accompagné et défendu ce football féminin, je craignais qu'il regresse. Je m’en étais ouvert à des gens que je connaissais bien et on m’avait rassuré en me disant : ‘‘Non, ne t’inquiète pas, ça travaille bien et c’est à nous, la Fédération, de structurer et mettre en place le cadre’’. C’est essentiel pour assurer que cette masse puisse évoluer en étant bien entouré. Il faut leur donner la possibilité d’être bien encadrées. Ce qui est le plus important dans le football, c’est celui qui en a la charge et pour moi, c’est l’éducateur ou l’éducatrice. J’ai bien dit éducateur, je n’ai pas parlé de coach (sourires) ! Attention, l’éducateur c’est l’homme ou la femme indispensable qui va donner de l’amplitude, de l’audace, de l’enthousiasme et qui va récupérer toutes ces jeunes pleins de vie qui ont envie de jouer pour leur transmettre. C’est une philosophie différente, beaucoup l’ont oublié mais la compétition passe après. Parlons d’abord de la petite fille, de la jeune femme, de la femme et comment on peut lui tracer son chemin de vie. »

fédération française de football - FFF
Crédit Agricole logo EDF logo Nike logo Orange logo Uber Eats logo Volkswagen logo