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Jean-Michel Aulas : « Faire avancer les choses plus vite »

mercredi 8 mars 2023 - 14:07 - Claire GAILLARD
Jean-Michel Aulas trophée des championnes 2022

Membre du Comex de la FFF, le président de la Commission du football féminin de haut niveau fait le point sur le travail réalisé depuis octobre 2021 en concertation avec la DTN. Refonte des championnats, centres de formation, statut des joueuses, Ligue professionnelle et maternité des sportives… On y est !

« Le football féminin français compte plus de 220 000 licenciées, un chiffre historique, signe que la pratique continue d’attirer ?
Cela démontre une tendance : l’augmentation du nombre de licenciées, qui est peut-être supérieure à celle des licences chez les garçons. C’est le signe que c’est bien reparti après la crise sanitaire. On est dans une croissance conforme à l’idée que l’on se fait du football féminin en devenir et des vertus de parité que l’on essaie de mettre en œuvre. C’est un rayon de soleil qui nous conforte dans ce que l’on met en place. 

À ce titre, la commission fédérale du football féminin de haut niveau que vous présidez depuis octobre 2021 a un rôle essentiel à jouer. Où en êtes-vous ? 
Dès l’Assemblée générale de la FFF de juin 2021, on avait expliqué la stratégie et j’avais senti une appétence incroyable sur cette volonté de prendre en mains le développement et la croissance du football féminin. On s’est mis au travail avec une réflexion autour de ce que devrait être la hiérarchie des championnats pour aller vers une plus grande technicité et le haut niveau en termes de performance. Après des discussions au sein de la commission, on a abouti à un consensus pour ancrer le haut niveau dans une D1 Arkema à 12 clubs, comme aujourd’hui – avec l’éventualité de monter à quatorze dans les trois années à venir –, mais de réformer la Division 2 pour la réduire à une seule poule de 12 clubs. On se rend compte qu’à 24 équipes dans le secteur professionnel, cela devient compliqué de favoriser une croissance forte. Conséquence directe : permettre l’élargissement de la base pour que les potentiels accédants au futur niveau professionnel soient plus nombreux en ayant une Division 3 à deux poules de 12. 

« Six clubs de D1 Arkema ont d’ores et déjà déposé leur candidature et disposeront de leur propre structure de formation à partir du 1er juillet 2023. » 


Cette D3 aura-t-elle une particularité ?
Tous les clubs de D1 qui auront la possibilité d’accéder par le sportif à la D3 viendront nourrir l'une de deux poules et pourront permettre à leurs jeunes joueuses – en chemin vers le professionnalisme et qui représentent des talents importants dans la construction de notre élite – de jouer et s’aguerrir dans un championnat à leur dimension. Il s’agit d’une refonte générale des championnats qui permet de se projeter à trois ou quatre ans mais la mise en place a lieu dès cet été, à partir de la reprise de la saison 2023-2024. 


Jean-Michel Aulas lors de l'Assemblée Fédérale en décembre 2021 (photo Anthony DIBON / ICON SPORT).

Le deuxième grand changement concerne donc l’apparition de centres de formations agréés… 
En collaboration avec la Direction Technique Nationale, qui a fait un travail remarquable, et en liaison avec le ministère des Sports, nous avons travaillé pour définir le parcours de formation et de préformation qui permettra dans les Pôles et prochainement dans les clubs d’avoir un process de formation efficient comme avec les garçons. On a obtenu cet agrément qui sera effectif au 1er juillet 2023. Les clubs professionnels qui en font la demande pourront donc ouvrir des académies agréées donnant droit aux différentes aides possibles comme celles des collectivités territoriales. Six clubs de D1 Arkema ont d’ores et déjà déposé leur candidature et disposeront donc de leur propre structure de formation permettant à ceux qui seront dans la situation d’être élus sportivement de pouvoir jouer dans la future D3. Le schéma souhaité par la Fédération, c’est faire en sorte que là où il y aura un certain nombre de centres de clubs, les Pôles Espoirs féminins, gérés par la FFF, évolueront vers de la préformation de manière à ce qu’on ait cette architecture complète de préformation puis formation dans le parcours de la joueuse. 

En ce sens, un état des lieux de la situation des clubs a-t-il été effectué ?
Absolument. On dispose d’une photographie de la situation à l’instant T. Cela a nécessité de la part de la DTN mais aussi de divers services au sein de la FFF, comme la direction médicale, un audit extrêmement précis de tous les clubs de D1 et D2 afin d’identifier un certain nombre de forces mais également de faiblesses sur le plan des infrastructures, de l’encadrement technique et médical comme la préparation physique ou la kinésithérapie. Dans notre réflexion avec la DTN, cela va nous permettre d’identifier ceux qui veulent vraiment investir dans le football féminin et nous accompagner vers l’élite par la création des licences clubs qui permettront d’accéder aux divisions et aussi de pouvoir gérer les centres de formation évoqués. 

« Je souhaite que dans les trois années à venir, il y ait une hausse très sensible des budgets affectés au foot féminin (…) Malgré les efforts réels consentis ces dernières années, on a un retard significatif. Il faut envoyer un message. » 


Quelles seront les différents types de licences clubs ? 
Trois niveaux de licences vont être mises en place dès la rentrée. La licence supérieure dite Élite permet d’avoir en son sein un centre de formation avec des caractéristiques moins lourdes que chez les garçons mais d’une certaine exigence de manière à faire en sorte que la technicité soit pertinente. Deuxième niveau : la licence Excellence qui permettra d’évoluer en D1 Arkema sans centre de formation. Et pour accéder à la D2, la licence Access qui signifie accession vers le professionnalisme et sera d’un niveau inférieur. Ces licences vont permettre d’autoriser ou non la participation des clubs et l’obtention des aides financières définies par le niveau hiérarchique de la compétition. Si un club n’a pas les infrastructures qui permettent d’évoluer et d’avoir cette licence, il ne pourra pas recevoir de droits TV ou de subventions affectées à ce niveau-là. 


Les joueuses du Stade de Reims à l'échauffement (photo Marie BASSERY / FFF).

Quand ces montants vont-ils être dévoilés ? 
Les choses sont prêtes. J’espère que nous pourrons valider cela prochainement afin d'annoncer les montants d’ici mai. On est actuellement dans la planification du budget 2023-2024 de la FFF mais la présentation du projet a été faite et on attend les derniers arbitrages. 

Que pouvez-vous nous dire concernant le futur budget alloué au football féminin ? 
Il sera reconduit à la hausse (sourires) ! On est dans une Fédération qui doit être encore plus élitiste vis-à-vis du football féminin, de la place des femmes, de la parité et la meilleure des choses, c’est de montrer que le Comité exécutif et son président définissent des budgets à la hausse pour tout ce qui concerne ce sujet. On est en train d’en discuter mais, à titre individuel, je souhaite que dans les trois années à venir, il y ait une hausse très sensible des budgets affectés au foot féminin. On dévoilera certainement les chiffres lors de la prochaine Assemblée Fédérale. Il faut que ce budget progresse beaucoup plus vite que la moyenne des autres budgets car, malgré les efforts réels consentis ces dernières années, on a un retard significatif. Il faut le dire et envoyer un message. 

« Le statut des joueuses ? On est en plein dialogue social de manière à aller vers un statut professionnel bien identifié (…) Je pense pouvoir dire qu’on est proche d’un accord. »


C’est l’audit réalisé qui vous fait dire ça ?
Entre autres. L’audit a démontré qu’on avait des progrès à faire et c’est pour cela qu’on a fixé des règles avec un contrôle afin de s’assurer que les clubs les appliquent. Le cas échéant, ils seront invités à le faire dans les plus brefs délais. C’est bien beau de parler de la parité mais il faut aussi l’appliquer. J’ai été par exemple surpris d’apprendre que dans le football féminin, pourtant en plein développement dans le monde entier, les équipementiers n’ont pas encore sorti de modèles de chaussures adaptés aux femmes ! Plusieurs sont en train d’y travailler mais comme dans certaines commissions médicales, on s’est posé la question de savoir si cela ne pouvait pas être à l’origine de blessures, c’est un sujet important. De la même manière, on doit s’interroger sur les surfaces de jeu de sorte à mettre les joueuses dans les meilleures conditions comme on le fait pour les joueurs. Quand on met le doigt sur un certain nombre de choses à faire évoluer, ce n’est pas pour être critique vis-à-vis de ceux qui en ont la responsabilité, c’est juste pour faire avancer les choses plus vite. 


Le Stade Océane du Havre AC accueille les rencontres du promu cette saison (photo Emmanuel BERTHOULE / HAC).

Parallèlement à cela, la professionnalisation du football féminin est lancée… 
On est en plein dialogue social de manière à aller vers un statut professionnel bien identifié. Les joueuses sont intervenues pour dire qu’il manquait un certain nombre de choses. On l’a constaté aussi dans l’audit réalisé où on a vu un nombre important de contrats à mi-temps ou tiers-temps qui ne sont pas compatibles avec la direction élitiste que nous prenons. Le dialogue est en cours, il a bien avancé et les dernières réunions paritaires avec les représentants syndicaux des joueuses et patronaux ont démontré qu’on était tous sur un objectif commun. Tout ceci va de pair avec le travail de structuration mené puisqu’à la sortie des centres de formation, il faut qu’on ait des contrats pour les jeunes qui vont vers le professionnalisme. Je pense pouvoir dire qu’on est proche d’un accord. Ce qui m’a frappé lors de ces échanges, c’est d’entendre les joueuses étrangères de D1 Arkema faire des remarques pas toujours positives sur les statuts mis en place dans nos clubs mais on s’en est servi pour avancer. 

« Je souhaite que cette Ligue soit en place au 1er juillet pour la saison 2023-2024. Elle sera internalisée puis, dans un second temps, on ira vers une Ligue pro à l’extérieur. » 


Tout ceci débouche sur la volonté d’avoir une Ligue professionnelle féminine… 
La décision avait été prise par le président Noël Le Graët lors du dernier Comité exécutif auquel il a participé avec une présentation lors de l’Assemblée fédérale en juin prochain. Un certain nombre d’orientations sont possibles. Pour des raisons d’efficacité – car je souhaite que cette Ligue soit en place au 1er juillet pour la saison 2023-2024 – elle sera internalisée avec tout ce qui est possible au sein de la Fédération puis dans un second temps, on ira vers une Ligue professionnelle femmes à l’extérieur. On travaille avec les services de la FFF, des cabinets spécialisés et Jean-Pierre Karaquillo du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges afin de définir le type de structure juridique pour lui permettre d’avoir une certaine autonomie. 


Le Président de l'Olympique Lyonnais au micro de Canal + lors du Trophée des championnes 2022 remporté par son club (photo Pauline CARRE / APL / FFF).

Avec en ligne de mire les droits TV qui arrivent à échéance en fin de saison ? 
Nous comptons profiter de l’appel d’offres des droits TV pour intéresser les diffuseurs, en apportant un certain nombre d’aménagements au championnat. On parle par exemple de play-offs, de matches diffusés en clair afin de valoriser la D1 Arkema. Pour le futur appel d’offres, on a répondu à un certain nombre de problématiques grâce à la création des licences. Celles-ci définissent la structure minimum demandée aux clubs pour que les matches soient retransmis car les diffuseurs ont besoin de surfaces de jeu impeccables, de tribunes, de plateformes caméras et d’un éclairage de qualité. Tout cela a été fixé par le cahier des charges de la licence pour évoluer en D1 Arkema. On va donc présenter un appel d’offres où les diffuseurs trouveront les réponses aux questions qu’ils se posent. Parallèlement à cela, on aura l’idée de faire progresser de manière significative nos droits TV. On pense – cela nous a été proposé par des organismes financiers – procéder comme les garçons l’ont fait avec une société commerciale pour obtenir nos propres ressources. L’augmentation des droits pour le football féminin est beaucoup plus importante au niveau de la dérivée que pour leurs homologues masculins. On part de plus bas mais on va monter très vite. C’est l’objet d’un accompagnement avec une société commerciale.  

« La maternité est un sujet central. Il faut permettre aux sportives de haut niveau de mener leur vie de femme, à commencer par avoir une grossesse si elles le désirent, et d’athlètes en les aidant à reprendre dans les meilleures conditions possibles. »


La maternité des footballeuses est un autre sujet clé. Votre club, l’OL, est l’employeur de la première internationale française en activité devenue maman, Amel Majri, qui rejoue depuis janvier. Quelles mesures d’accompagnement avez-vous mises en œuvre pour lui permettre de mener sa grossesse et reprendre son activité ? 
C'est un sujet central. Il faut permettre aux sportives de haut niveau de mener leur vie de femme, à commencer par avoir une grossesse si elles le désirent, et d’athlètes en les aidant à reprendre dans les meilleures conditions possibles. On a été confrontés très tôt à ce sujet parce qu’on avait des footballeuses nordiques, plus en avance qu'en France, et on a mis en place des choses mais on pouvait faire plus. Avec Amel, on a eu l’opportunité de mettre en pratique nos valeurs et nos idées afin de favoriser la reprise des entraînements, d’accompagner sa préparation et de préparer l’arrivée du bébé avec le fonctionnement au quotidien. Aujourd’hui, au-delà des modalités pratiques de garde d’enfant, il y a tout un accompagnement de l’athlète y compris lors des déplacements avec une nounou. Il y a d’ailleurs beaucoup de nounous dans l’équipe car tout le monde se prête avec beaucoup de gentillesse à ce rôle-là !


Avec Amel Majri (photo Romain BIARD / ICON SPORT). 

Mais vous savez, c’est une question de prise de conscience : c’est naturel de prendre ce type de décisions dans un contexte tout à fait normal dans la société. Le football n’est pas différent. Au départ, c’est nouveau donc ce n’est pas évident mais avec Amel, ça a été un cas d’école. Aujourd’hui, elle est heureuse, le bébé se trouve en pleine communion avec sa maman comme ses coéquipières et Amel a pu reprendre le foot au haut niveau tout en gérant sa maternité au sein du club de manière efficace. On est fiers, c’est la meilleure ambassadrice. C’est un long chemin car il y a plein d’autres choses à mettre en œuvre mais on a l’humilité de reconnaître quand on s’est trompé et d’avoir corrigé le tir pour que sur le plan de la rémunération, sur le fonctionnement au quotidien, on arrive à quelque chose qui soit exemplaire.  

« Amel Majri ? Si on est exemplaire en club, on doit pouvoir le faire en Équipe de France. »


Comment l’Équipe de France peut-elle s’adapter à cette situation inédite ? 
Si on est exemplaire en club, on doit pouvoir le faire en Équipe de France. C’est un peu différent car les déplacements sont plus longs mais puisqu’on parvient à définir un cadre en D1 Arkema, il n’y a pas de raison qu’on n’y parvienne pas en sélection. Il y a beaucoup d’exemples de joueuses dans le handball qui ont réussi à maîtriser cette évolution de manière tout à fait naturelle. 

La question de la maternité des athlètes englobe des sujets telles que la préservation de la fertilité ou la formation des staffs techniques et médicaux pour l’accompagnement des joueuses lors de leur grossesse ou après l’accouchement… 
Vous avez raison. Il faut qu’on anticipe ces points-là avec les éducateurs et éducatrices. La bonne nouvelle, c’est que la FFF, comme la FIFA et l’UEFA, s’empare de ce sujet et il va y avoir une diffusion de l’information à tous les niveaux qui va générer des questions et susciter des solutions à trouver au sein des clubs, notamment ceux en avance sur la question globale de la maternité. » 

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