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AS de Valognes, le sexisme hors-jeu

mercredi 15 janvier 2025 - 15:09 - Richard LOYANT
Carton rouge harcèlement AS de Valognes

Trois jeunes joueuses du club de la Manche ont témoigné en vidéo contre les propos discriminants et sexistes sur la pratique féminine, une action détaillée par la membre du bureau Anne-Claire Jouault.

Lili, Louna et Ombeline, toutes trois joueuses de 18 ans de l’Association Sportive de Valognes Football, se sont interrogées sur des remarques essuyées depuis des bords de terrains, questionnant la légitimité de leur pratique. Des propos de « sexisme ordinaire » entendus en déplacement comme dans leur commune de quelque 8 000 habitants, située à une vingtaine de kilomètres au sud de Cherbourg au cœur de la presqu’île du Cotentin. Mais loin de les rebuter, ces remarques les ont poussées à témoigner via une vidéo, réalisée avec les concours de la Maison des adolescents (Mado) de la Manche, le Service départemental de la jeunesse et des sports (SDJES) et le Centre d'information du droit des femmes et des familles (CIDFF), subventionnée par l’Agence nationale du sport (ANS). Cette action de prévention, couplée à une formation de ses éducatrices et éducateurs aux particularités de l’adolescence, ont valu à ce club créé en 1906 (457 licenciés, dont 75 féminines des U6 au seniors) d’être lauréat des trophées Philippe-Séguin 2024 du Fondaction du Football, dans la catégorie « mixité et diversité ». Anne-Claire Jouault, membre du bureau de l’AS Valognes et cheville ouvrière de cette initiative, détaille une démarche « d’apprentissage du respect de l’autre en luttant contre la banalisation d’un discours qui peut blesser ».

LILI, LOUNA ET OMBELINE
« Pas à elles d’avoir honte »

C’est « l’histoire vraie de trois jeunes filles de la section foot du club, trois parcours différents qui racontent ce qu’elles ont vraiment entendu ». Anne-Claire Jouault, mère de deux enfants « qui jouent au club en U15 et U18, plus un mari en vétéran », insiste sur l’origine d’une vidéo que Lily, Louna et Ombeline ont souhaitée à la suite « d’échanges réguliers sur leurs difficultés par rapport à des commentaires de bords de terrains, dont l’un après un match de quelqu’un qui les a questionnées sur pourquoi elles jouaient au foot. Elles se sont dit qu’il fallait en faire quelque chose mais plutôt que cela soit limité au club, que cela puisse s’ouvrir à l’ensemble de la pratique sportive car c’est aussi en lien avec des faits et des questionnements de la société d’aujourd’hui ».

Ces remarques de bord-terrains « viennent de garçons, parfois de filles et surtout d’adultes, de leurs pairs et beaucoup des pères, en quelque sorte. L’une reprise dans la vidéo car entendue régulièrement, et par moi-même quand mon fils jouait en mixité, c’est : "Tu ne vas quand même pas te faire avoir par une fille !". C’est aussi quand une fille passe un garçon, le pire par un petit ou grand pont, de huer celui qui a ainsi été pris. Cela en dit long au passage sur les places différentes occupées par les filles et les garçons sur le terrain. Entendre cela n’est en tout cas pas normal et peut même devenir dramatique quand des jeunes filles s’interdisent d’aller pratiquer du sport de peur de telles réactions ». 

Lili, Louna et Ombeline sont, elles, passées outre pour continuer le football, non sans avoir parfois douté et sans toujours mesurer toute la portée des réflexions lancées. « Quand on a commencé à travailler sur la vidéo, elles nous ont dit que telle ou telle allusion était "banale, pas intéressante, on ne va rien en faire", témoigne la dirigeante. On leur a répondu que si, que chaque mot qui n’a pas lieu d’être est important et devait être rapporté. Elles avaient en fait l’impression que seul ce qui était extrêmement grave pouvait l’être et que le reste, finalement… Cela nous a permis aussi de replacer le curseur au bon endroit car ce n’est pas à elles d’avoir honte, et donc de sortir de la culpabilité par exemple pour d’autres de ne pas y être arrivé. Elles ont finalement effectué un travail remarquable en acceptant de dire et de tout mettre sur la table pour que cela soit pris en compte. Elles se sont affirmées et ont gagné en confiance sur la possibilité d’être ce dont elles avaient envie dans le club ». 

Les avatars de Louna, Lili et Ombeline crées par la réalisatrice de la vidéo Lucile Le Gall (photo capture/AS de Valognes Football/Mado de la Manche/ANS/CIDFF Manche/Académie de Normandie).

ANNE-CLAIRE ET LES DIRIGEANTS
« Écoute et remise en question »

Anne-Claire Jouault a d’autant plus facilement accompagné leur démarche qu’elle est éducatrice et cheffe de service à la Mado de la Manche, « où toutes ces questions sont traitées depuis longtemps. Mon regard professionnel est venu se greffer sur cette mission. La richesse d’un club amateur, c’est quand ses bénévoles ont aussi un métier par ailleurs et qu’ils peuvent faire jouer leur réseau ». Surtout lorsque, comme à l’AS Valognes, « le club a toujours eu cette attention et a toujours œuvré pour qu’il y ait de la place pour les filles ».

Dûment informé tout au long du projet, le comité directeur à grande majorité masculine a non seulement adhéré mais aussi su se remettre en cause. « Une autre partie de ma mission a été de leur faire entendre que de leur place d’homme, il était important qu’il puisse aussi se saisir de cette question. Ils connaissaient certains de ces propos mais pas forcément tous, ce qui les a amenés à s’interroger sur leurs propres postures. Cela a été très bien porté par le président de l’époque (David Bourdon, pendant huit ans) et celui d’aujourd’hui (Yannick Couëgnat, qui lui a succédé en juillet dernier). Il y a eu une approche presqu’idéale d’écoute et de remise en question ». Facilitée par la formation dispensée en soirées par la Mado à tous les dirigeants. « Une psychologue est venue présenter deux modules sur la particularité adolescente, la mixité et les stéréotypes de genre. C’était intéressant qu’ils s’acculturent à toutes ces questions afin de pouvoir ensuite ajuster leurs conduites ». 

Anne-Claire Jouault, Louna Cardet, le président de la FFF Philippe Diallo et Lili Dubost (photo AS de Valognes Football).

LE CLUB ET SES ADOS
« Échanger sans culpabiliser »

Une fois réalisée, la vidéo a été présentée au club lors d’un stage en avril dernier regroupant cent-quarante U6 à U15 en mixité, lors d’une matinée de prévention. En ciblant volontairement toutes les catégories, souligne la dirigeante. « Les plus petits peuvent paraître un peu éloignés de ces questions mais il est toujours bien qu’ils entendent que ce n’est pas bon à faire, qu’il ne faut pas banaliser un discours qui peut blesser. Pour les U11 à U15, on est vraiment dans l’apprentissage du respect de l’autre et de ses enjeux. Il y avait une grande majorité de garçons, il y a eu beaucoup de participation aux ateliers et d’échanges intéressants avec eux. Le but n’était pas de les culpabiliser, de les stigmatiser comme des agresseurs systématiques, de leur dire qu’ils ne savent pas se comporter, qu’ils sont tous irrespectueux… Il s’agissait de leur faire comprendre ce que cela peut engendrer et les différents mécanismes en œuvre. Des préjugés ou stéréotypes peuvent en effet ne pas apparaître violents mais, en pleine construction d'un enfant ou d'un adolescent, avoir des conséquences importante sur l'image ou l'estime de soi, notamment ». 

Le support vidéo a alors pris toute sa dimension. « En démarrant par "C’est normal non ?", on est sur l’interrogation et, donc, dans le débat, explique Anne-Claire Jouault. Il ne s’agit pas d’être moralisateur et de donner toutes les solutions clés en main, mais bien de réfléchir. Lors de nos interventions, des garçons ont répondu : "Bah oui, c’est normal…". Alors, dans ce cas, pourquoi ? Et cela ouvre au débat et à l’argumentation. Ils ont été très réceptifs et cela nous permet maintenant, si le cas se représente, de les reprendre en leur disant : "Mais dis donc, on en a déjà discuté lors de la vidéo !". Ils l’acceptent d’autant mieux qu’ils connaissent très bien Lily, Louna et Ombeline, trois jeunes filles très intégrées au club, qui accompagnent les petits, dirigeantes sur les U7-U8, qui encadrent des stages... ». 

 Une telle approche est primordiale selon l’éducatrice. « La question de la différence est constitutive de l’adolescence : on se construit aussi par la différence de l’autre, on comprend qui l’on est parce que l’on est différent de l’autre. Ce n’est pas si simple et ces remarques ne sont pas que "méchantes" ou provocantes. Elles interviennent aussi dans un souci de construction personnelle. C’est pour cela que la vidéo est très douce, pas agressive. À la Mado, on reçoit aujourd’hui un certain nombre de garçons en difficulté dans ces postures, dans une société qui met assez facilement les hommes au banc des accusés. On en voit beaucoup se questionner, cherchant à se situer dans ce monde tel qu’il évolue, avec des difficultés dans leurs rapports notamment aux jeunes filles, ayant peur en fait d’avoir un comportement inadapté ».   

La diffusion de la vidéo aux jeunes licenciées et licenciés du club (photo AS de Valognes Football).

RELAIS ET PARTENAIRES 
« Essentiels pour diffuser à plus grande échelle »  

Cette matinée a tout naturellement trouvé un prolongement lors d’autres actions autour du même thème, comme le 7 novembre dernier lors d’une journée de lutte contre le harcèlement (photo principale) dans le cadre de l’opération Team Orange Football (partenaire du club et de la FFF). « C’est un engagement du club d’être éducateur au sens premier du terme, justifie Anne-Claire Jouault. On accueille des enfants en pleine construction, il faut donc accepter de ne pas être que des éducateurs de foot. En commençant par éduquer les éducateurs. On est un petit club avec des bénévoles et des parents pleins de bonne volonté et, souvent, de bon sens mais qui n’ont pas tous eu des formations. En travaillant sur cette question, cela a induit une vigilance et une volonté de montrer l’exemple au plus juste de ce qui devrait être. Des parents sont venus nous remercier de ces actions, on n’a eu que des retours positifs ». 

Après les partenaires – y compris institutionnels comme l’Agence nationale du sport (ANS), qui a participé au financement de la vidéo –, la dernière pierre a cet édifice est venue des instances, à l’image du District de la Manche. « On l’avait sollicité quand on a fait tourner la vidéo sur les réseaux sociaux à partir du 8 mars 2024, à l’occasion de la Journée de la femme, raconte Anne-Claire Jouault. Il s’est immédiatement montré intéressé pour travailler sur ces questions et, depuis, on est resté en lien. Il a entendu qu’il fallait élever en compétences les éducateurs sur ces questions et se sont rapprochés d’abord du club, puis de la Mado. La Ligue de Normandie a aussi partagé la vidéo, l’AS Cherbourg nous a informé qu’il allait l’utiliser sur son prochain stage de jeunes en février et d’autres clubs l'ont déjà fait, parfois sans nous le dire. C'est justement pour qu’elle puisse être auto-saisie que l'on a écrit un livret d’accompagnement. Car pour la déployer nous-mêmes, il nous faudrait des salariés ou des gens plus disponibles. Ces relais ont des outils et des moyens que le club n’a pas et sont essentiels pour diffuser à plus grande échelle ». 

La dirigeante espère en effet voir « cette vidéo utilisée comme objet tiers lors de préventions sur ces questions de mixité, de non-banalisation des propos pour déconstruire de tels discours. Un club de foot est l’endroit où des enfants en construction passent beaucoup de temps. On dit souvent qu’il y a pour eux trois lieux de vie : l’école, le loisir et le sport, et la famille. C’est presque dans l’ordre car comme maman de footballeur, je peux témoigner qu’ils passent plus de temps sur le terrain qu’avec moi (rires). Il est donc important qu’ils soient des lieux d’éducation, au sens le plus large du terme ».

Yannick Couëgnat (président du club depuis juillet dernier), Anne-Claire Jouault, Louna Cardet, Lili Dubost, Cathy Legeard (éducatrice des U15 féminines) et David Bourdon (président du club jusqu’en juin dernier) à la remise des trophées 2024 (photo Bruno Bade/Fondaction du Football).

LA VIDÉO « PAS DU JEU ! »

 

Les bonnes pratiques du football amateur

Avec cette série des « Belles réussites du football amateur », la FFF met à l’honneur les initiatives et actions engagées par ses clubs partout en France. De quartier ou ruraux, avec plus ou moins de licenciés et licenciées mais toujours la même passion des pratiquants et pratiquantes, éducateurs et éducatrices, dirigeants et dirigeantes, de tous âges et toutes générations.

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