Jean-Michel Aulas : « Un jour historique »
Le président de la nouvelle Ligue féminine de football professionnel (LFFP), qui sera lancée le 1er juillet prochain, se félicite des réformes mises en œuvre cette saison ayant permis au mouvement de professionnalisation de se concrétiser et fixe le cap pour 2024-2025.
« Vingt ans après avoir créé la section féminine à l’Olympique Lyonnais, vous allez prendre la présidence de la nouvelle Ligue féminine professionnelle, le 1er juillet 2024. Comment accueillez-vous cette nomination émanant du Comex de la FFF ?
C’est une grande responsabilité car le développement du football féminin au niveau fédéral est un sujet très important. Tous les sujets de parité, de performance doivent être traités de la même manière pour les femmes et les hommes. Les joueuses ont droit à un statut professionnel et on y travaille. Cette responsabilité dépasse le cadre sportif, elle entre dans un cadre sociétal. Ma nomination vient en complément de ce que j’ai pu faire sur la scène professionnelle pendant dans de nombreuses années et c’est une forme de redevance envers le football féminin.
Vous évoquez cette question centrale de la parité, est-ce la raison pour laquelle vous serez rejoint par une femme comme vice-présidente à l’issue de la prochaine Assemblée générale de la FFF ?
Toute la société est en phase de maturité. J’ai eu dans le passé des responsabilités de dirigeant au sein d’entreprises cotées où le sujet de la parité a été traité bien avant d’autres secteurs. La fait de définir une gouvernance avec une parité totale me paraissait essentiel afin de signifier de manière très claire qu’on est dans un respect de l’évolution de la société.
Tout sur la Ligue féminine de football professionnel
Quel est le rôle de la Ligue professionnelle et comment va-t-elle s’organiser ?
On doit mettre en place un écosystème qui fonctionne et alimente le développement de ce football professionnel. Pour cela, on s’est évertué à créer des structures autonomes à l’intérieur de la Fédération, la maison mère du football, amateur comme professionnel masculin et désormais féminin. Nous utilisons les compétences présentes à la FFF, travaillons en synergie avec ses différents services tout en se dotant d’interlocuteurs dédiés afin de répondre à nos préoccupations de réactivité et de développement. La volonté est d’avoir une structure souple, efficace et compétente au service des clubs. L’ambition est d’en faire la plus importante sur la scène européenne.
Aline Riera, trésorière de la FFF, Philippe Diallo, président de la FFF, Jean-Michel Aulas, vice-président délégué de la FFF et président de la nouvelle Ligue féminine pro, et Marie-Christine Terroni, membre de la commission haut niveau et présidente de la section féminine du PFC, lors de la présentation de la LFFP, lundi 29 avril 2024 à Paris (photo Baptiste FERNANDEZ / ICON SPORT).
En 2023-2024, la professionnalisation a pris forme avec la mise en œuvre de grandes réformes : création des licences clubs, attribution des premiers agréments des centres de formation féminins, mise en place des play-offs, instauration d’une poule unique en D2... Quel premier bilan tirez-vous ?
On avait défini des objectifs élevés et la plus grande difficulté est souvent de les tenir. Grâce à la complicité, la pertinence et la performance de tous les collaborateurs de la Fédération et des clubs qui nous ont accompagnés, on a pu les remplir. Nous en avons fixé d’autres plus ambitieux pour les saisons à venir afin de permettre au football féminin de se décliner dans toutes ses dimensions : à l’échelle amateur, à l’échelle professionnelle et au plus haut niveau avec l’Équipe de France. L’Équipe de France, c’est la vitrine, c’est souvent ce qui permet de découvrir la discipline et donne envie aux jeunes filles de pratiquer. Les Bleues ont joué leur rôle : elles ont disputé cette année leur première finale de compétition internationale en Ligue des nations (0-2 contre l’Espagne en février). On espère en jouer une autre très bientôt (sourires) ! On s’est donné les moyens sur le plan des structures d’avoir l’équivalent de ce qu’il existe chez les garçons. On a fait en sorte de se doter – tout en appliquant les règles de la Fédération – de textes adaptés au football professionnel féminin : des statuts, une gouvernance, un ensemble de dispositifs qui représentent un travail immense. On est en ordre de marche. Notre championnat figure aujourd’hui parmi les meilleurs : la France comptait deux représentants en demi-finales de la Ligue des champions féminine et va avoir le meilleur classement UEFA. Il faut à présent se structurer, avoir un écosystème qui permet de se rentabiliser et que la Fédération nous suive, ce qui est le cas avec le président Philippe Diallo qui a su donner à cette vision une réalité et des moyens humains comme financiers (voir chiffres ci-dessous). Tout ceci doit nous permettre de consolider ce qui a été réalisé, de mettre en œuvre la professionnalisation et d’aller chercher nos propres moyens. Les grandes entreprises françaises que j’ai commencé à solliciter sont intéressées par l’idée d’associer leur image au football féminin. On est en pleine mutation et construction.
Parmi les avancées majeures, il y a les droits nouveaux en matière de santé, grossesse et maternité dont vont bénéficier les joueuses à compter du 1er juillet 2024…
Quand on parle de parité et de développement du football professionnel féminin, on doit évoquer tout ce qui permet aux athlètes féminines d’être dans leur structure au quotidien l’égal des hommes et ce qui va leur permettre d’atteindre leurs objectifs. On a beaucoup insisté sur ces aspects de préconisation en matière de maternité et d’accompagnement. Par exemple, en Équipe de France et/ou dans certains clubs, les joueuses qui sont mamans peuvent venir avec leurs enfants en bas âge voire avoir une nourrice. On a fait en sorte de développer un statut avec un salaire minimum, des garanties et une vision progressiste. Il a fallu casser des codes mais tout le monde a joué le jeu. L’accord et la convention collective ne sont pas encore signés mais nous en sommes très proches. J’avais dit que ce serait fait d’ici le début de la saison prochaine, on sera en avance sur ce temps de passage. Foot Unis, l’U2C2F et l’UNFP ont fait ce qu’il fallait pour que tout se passe bien.
La création de cette Ligue marque-t-elle un tournant dans l’histoire du football féminin en France ?
Pour moi, c’est un jour historique ! Jusqu’à maintenant on nous a regardés avec un peu de curiosité, parfois même de la condescendance. C’était une vision mais elle est en train de se transformer au profit des athlètes et de tous les gens qui aiment le sport féminin en une réalité très ambitieuse.
Le logo de la Ligue féminine professionnelle et la nouvelle identité graphique des championnats l'Arkema Première Ligue et Seconde Ligue (photo Baptiste FERNANDEZ / ICON SPORT).
L’auriez-vous imaginé possible dans les années 2000 quand vous avez été pionnier en empruntant la voie de Louis Nicollin, alors président du Montpellier HSC, pour aller plus loin dans le développement de la pratique ?
C’est « Loulou » Nicollin qui m’a montré le chemin. Alors que l’Olympique Lyonnais réussissait chez les garçons à l’époque, on n’aurait peut-être pas imaginé que les choses puissent se dérouler ainsi. « Loulou » avait osé, il m’a donné envie de faire mieux. En 2004, l’année où nous avons repris le FCL à l’OL, on n’imaginait pas tout cela possible. Je me souviens encore avoir accompagné Laura Georges alors joueuse à Lyon et en Équipe de France pour qu’elle puisse demander les mêmes avantages en matière de chaussures que les garçons ce qui peut paraître impensable aujourd’hui… Il y a quelques années, je disais devant l’ECA, l’European Club Association, que tous les grands clubs européens auraient demain la volonté d’avoir une équipe féminine. Ce n’était pas le cas à l’époque. Aujourd’hui, tous en ont : le Barça, le Real Madrid, la Juventus, Manchester…
« Lors des play-offs et auparavant pour la finale de la Coupe de France féminine (PSG-Fleury, samedi 4 mai à Montpellier), nous serons les moteurs en matière de sonorisation d’arbitrage. On sera en avance sur les garçons, c’est un signal fantastique »
Le président Philippe Diallo a fixé l’objectif de 500 000 licences féminines à l’horizon 2028, soit un doublement du total. Quel rôle peut jouer la Ligue ?
La Ligue doit jouer le rôle de l’exemplarité, en donnant envie, comme l’Équipe de France, à ces jeunes filles. Dans la fonction que j’occupe au sein de la FFF (vice-président délégué), je n’oublie pas la volonté de construire, de donner des idées. On discute avec les ministères des Sports et de l’Éducation Nationale pour qu’on puisse dès les plus jeunes classes donner aux filles le droit de pratiquer le foot. Aujourd’hui, il y a des réticences à jouer dans la cour d’école pour des raisons de mixité, ce qui est absurde. Il faut trouver des solutions. Nous devons aussi convaincre les collectivités territoriales de l’effort à faire pour aider dans les infrastructures et dans les ressources en termes d’éducateurs pour que toutes les filles qui ont envie de pratique puissent le faire. L’année dernière encore, de nombreuses jeunes filles n’ont pas trouvé de clubs pour s’inscrire.
Les cinq internationales françaises présentes dans l'équipe type de la saison 2023-2024 en D1 Arkema : Griedge Mbock, Elisa De Almeida, Sakina Karchaoui, Grace Geyoro et Eugénie Le Sommer (photo Hugo PFEIFFER / ICON SPORT).
Qu’attendez-vous du retour des play-offs en D1 Arkema qui se disputeront les samedi 11, dimanche 12 et vendredi 17 mai prochains ?
Lorsqu’on joue toute la saison pour terminer en tête du classement, on a envie de savourer mais on est aussi dans un projet qui vise à proposer plus de compétitivité jusqu’à la fin de la saison. On a imaginé que ces play-offs allaient le permettre. J’en attends beaucoup sur le plan de l’attractivité en matière de jeu et d’audience TV puisqu’on voit que cette année, les matches les plus suivis sont ceux opposant les équipes du top 5. Enfin, il va y avoir une innovation dont je suis très fier : j’ai convaincu le Comex de faire en sorte qu’on soit lors des play-offs et auparavant pour la finale de la Coupe de France féminine (Paris-SG – FC Fleury 91, samedi 4 mai à Montpellier) les moteurs en matière de sonorisation d’arbitrage. On sera en avance sur les garçons, c’est un signal fantastique et je remercie Stéphanie Frappart (directrice déléguée à l’arbitrage féminin) et Antony Gautier (directeur de l’arbitrage) de nous avoir aidés à développer cette ambition. »