D1 ARKEMA

Tanya Romanenko : « Je ne souhaite à personne de vivre ça » 1/2

vendredi 1 avril 2022 - 11:22 - Claire GAILLARD à Reims
Tanya Romanenko

L’internationale ukrainienne de Reims revient sur l’invasion de son pays par l’armée russe. À des milliers de kilomètres du front, elle raconte le choc et le lien maintenu avec ses proches. 

Elle tend sa main et serre la nôtre avec chaleur. Tanya Romanenko nous attendait ce mercredi au centre d’entraînement Raymond-Kopa. Sa particularité ? C’est la seule joueuse ukrainienne évoluant en D1 Arkema. Native d’Odessa, ville portuaire de la mer Noire située au sud du pays, l’attaquante, reconvertie latérale, est arrivée au Stade de Reims en 2017 après avoir évolué au Zhytlobud-1 Kharkiv, en Russie (Energia Voronej puis Kubanochka Krasnodar), en République de Corée (Suwon UDC WFC) et en Italie (Empoli Ladies). Sa famille est restée en Ukraine et durant ses vacances Tanya Romanenko (31 ans) appréciait y revenir.

 

Il y a un mois, avec le début de l’invasion russe, tout a basculé. Plongée dans l’angoisse, elle a dû refaire surface pour ses proches, son peuple et son pays. L’internationale a organisé une immense collecte avec le soutien du club champenois. Neuf camions ont ainsi quitté les entrepôts Caillot direction l’Ukraine contenant des vêtements, des denrées non périssables et des produits d’hygiène. Elle a aussi souhaité prendre la parole : « Au début, je me suis demandé si je devais le faire mais j’ai hésité cinq secondes ! Plus tu parles, plus les gens entendent et comprennent ce qu’il se passe. » Son père mobilisé sur le front, son frère bloqué à Odessa, elle attend à présent que sa mère, sa belle-sœur et son neveu, né le 7 mars sous les bombes et le bruit des sirènes, actuellement réfugiés en Moldavie la rejoignent. La logistique n’est pas simple mais Tanya Romanenko a bon espoir de les serrer dans ses bras d’ici une semaine. Première partie d’un entretien à cœur ouvert.

« Je rentrais de l’équipe nationale (…) J’étais heureuse. Le lendemain matin, vers 7 heures, mon petit ami m’a réveillée en me disant : ‘‘Tanya, debout, l’Ukraine a été attaquée’’. Je ne peux pas vous dire ce que j’ai ressenti. Je ne souhaite à personne de vivre ça. »

 

« 35e jour du conflit en Ukraine (37 désormais). Vous souvenez-vous de ce jeudi 24 février 2022 ?
Tellement. Je rentrais de l’équipe nationale que j’avais retrouvée pour la première fois depuis deux ans. C’était un moment important, j’étais heureuse. Le lendemain matin, vers 7 heures, mon petit ami m’a réveillée en me disant : ‘‘Tanya, debout, l’Ukraine a été attaquée’’. Toutes les chaînes d’informations en parlaient. J’étais choquée, j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé ma mère. Je ne peux pas vous dire ce que j’ai ressenti. Je ne souhaite à personne de vivre ça. Tu es sous le choc et tu imagines le pire.


Le 11 avril 2016 face à la France de Jessica Houara lors d'un match de qualification à l'Euro 2017 (photo Dave WINTER / ICON SPORT).

Où se trouvait votre famille ? 
Mon frère vivait avec sa femme à Odessa et mes parents dans un village un peu plus loin. Heureusement, à ce moment-là, ils étaient ensemble. On vivait une période heureuse avec la grossesse de ma belle-sœur mais c’est vite devenu un problème… Deux jours avant l’invasion, une amie m’a dit que les forces ukrainiennes de la ville de Tchornomorsk, située à côté d’Odessa, envoyaient les femmes et les enfants hors d’Ukraine. Quelque chose se préparait. J’ai passé l’information à mon père et mon frère. J’imagine qu’ils ne l’ont pas pris au sérieux comme des millions de gens. Personne ne s’attendait à ça. On ne pouvait pas imaginer une attaque de cette ampleur partout dans le pays. 

« J’ai rencontré une femme arrivée de Marioupol avec son enfant d’environ 6 ans. Son mari a été tué là-bas sous les bombes dans la rue alors qu’il était sorti pour voir comment allaient ses parents. C’était tellement douloureux à entendre… Cette femme a tout perdu. »

 

Comment avez-vous vécu la situation ?
Après huit jours très, très durs, je suis passée par plusieurs phases. Je me suis dit qu’il fallait se forcer à manger, à dormir parce que ma vie est ici à jouer au football. Si je ne vis qu’à travers les actualités, Internet et les réseaux sociaux, que j’abandonne le foot, ça va être pire pour moi et ma famille à qui je ne pourrai pas envoyer d’argent par exemple. Ils comptent sur moi. J’ai aussi des amis à Kiev ou Kharkiv. Ce qu’il se passe à Marioupol, c’est choquant. Ponctuellement, j’aide le 115, que les réfugiés appellent quand ils arrivent en France. J’ai rencontré une femme en provenance de Marioupol avec son enfant d’environ 6 ans. Son mari a été tué là-bas sous les bombes dans la rue alors qu’il était sorti pour voir comment allaient ses parents. C’était tellement douloureux à entendre… Cette femme a tout perdu. Ils ne lui ont laissé que sa vie et son enfant. Les Russes tuent des civils (elle insiste). On vivait tranquillement, on ne demandait rien et ils nous ont attaqués. Ils bombardent les bâtiments, ils tirent sur des voitures ou des endroits – comme le théâtre de Marioupol – où le mot « Enfants » est affiché lisiblement. À présent, leurs frappes visent des infrastructures qui produisent le blé et l’huile, nos matières premières. 

L’attaque doit être d’autant plus douloureuse que vous parlez le russe et avez joué en Russie…
(Ses yeux s’embuent) Ma langue natale, c’est le russe. Je n’aurais jamais pensé détester la langue que je parle mais c’est le cas aujourd’hui. Je ne veux plus le parler. Poutine a dit que nous étions des nazis. J’ai joué cinq ans en Russie. J’avais de bons rapports avec mon ancienne entraîneure. Sur Instagram, elle a posté un message avec le Z (*) en ajoutant : ‘‘On ne va pas abandonner notre peuple’’. Ça voulait dire notre armée. Je lui ai demandé si elle comprenait ce qu’il se passait en Ukraine. Elle m’a répondu : ‘‘Tanya, la guerre, c’est toujours un cauchemar.’’ J’ai rétorqué que si elle soutenait ça, elle aurait aussi le sang de nos enfants sur ses mains. 


Lors du premier match de D1 Arkema qui a suivi le début de la guerre, Tanya Romanenko a arboré le drapeau de son pays avec le message : « Help Ukraine »  (photo Malo LECLERC).

Où en sont votre frère, votre belle-sœur et votre mère ?
Au début, ils sont restés à Odessa car ma belle-sœur avait un accord avec un hôpital pour l’accouchement. On ne voulait pas prendre le risque qu’elle donne naissance sur la route de l’exode, c’était trop risqué. Ma mère et mon frère étaient dans un appartement, ma belle-sœur à l’hôpital. Dès que les alarmes sonnaient en ville, elle devait aller au sous-sol du bâtiment dans une toute petite pièce où se trouvait une trentaine de femmes. Certaines venaient d’accoucher, celles qui ne pouvaient pas rester debout s’allongeaient sur les quelques lits disponibles, les autres étaient assises par terre avec leur enfant dans les bras. J’ai des images horribles en tête. Par chance, mon frère a pu assister à l’accouchement. 

Est-elle en bonne santé ? 
Oui. Elle a accouché par césarienne et a dû rester une semaine à l’hôpital mais dès qu’ils lui ont retiré les fils, on l’a envoyée en Moldavie avec mon neveu et ma mère. Cela n’a pas été une décision facile pour ma maman. Laisser son fils à Odessa et son mari parti au front… Mais elle a choisi d’aider ma belle-sœur. 

« Mon père nous a dit : ‘‘Si je ne le fais pas (d’être mobilisé), qui le fera ?’’ Tout le monde a peur, c’est normal… » 

 

Votre père a été mobilisé très tôt… 
Dès le deuxième jour de guerre. On essaie de prendre des nouvelles chaque jour. On regarde s’il est en ligne. Une fois, il ne s’est pas connecté pendant six heures et là, je me suis imaginé le pire. Mon frère m’a dit : ‘‘Tu ne peux rien faire, alors calme-toi’’. 

Savez-vous quelle mission il a ? 
Il n’en parle pas trop, on imagine qu’ils (les Russes) écoutent nos conversations. Il nous envoie parfois des photos avec son équipement et les armes. La seule fois où je l’ai vu ainsi c’est lorsqu’il faisait son service militaire. Il est fier de défendre son pays. Il nous a dit : ‘‘Si je ne le fais pas, qui le fera ?’’ Tout le monde a peur, c’est normal mais il y a beaucoup d’hommes qui sont rentrés en Ukraine pour s’engager. En revanche, si tu ne sais pas prendre les armes, ça ne sert rien. Tu deviens une cible. 

Votre frère pourrait-il être appelé ?
Il a des problèmes de vue donc il n’y a pas beaucoup de chance. Je l’espère en tout cas car voir partir un homme, c’est déjà assez. Les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent pas quitter l’Ukraine. Ceux qui sont partis risquent même dix ans d’emprisonnement. »

(*) Un symbole de soutien à l’armée russe.

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