ARBITRAGE

Stéphanie Frappart : « Le Graal absolu »

mercredi 23 novembre 2022 - 17:32 - Philippe MAYEN
Stéphanie Frappart Coupe du monde 2022 Mexique - Pologne

Stéphanie Frappart a fait mardi ses débuts en Coupe du monde, une première de plus pour la Française, désormais membre du gotha de l'arbitrage international, mais qui garde néanmoins les pieds bien sur terre. Entretien.

Désignée pour être quatrième arbitre sur la rencontre entre le Mexique et la Pologne (groupe C) mardi à Doha et jeudi lors de Portugal-Ghana, Stéphanie Frappart, a été la première des six arbitres féminines sélectionnées par la FIFA à faire son entrée sur les terrains de cette Coupe du monde. Une première et un honneur de plus pour celle qui les additionne depuis avril 2019, date de sa promotion en Ligue 1 par la FFF. À ses désignations pour les grands tournois féminins (Mondial 2015, JO 2016, Euro 2017) se sont ainsi ajoutées ses nominations pour la finale de la Coupe du monde féminine 2019, de la Supercoupe de l'UEFA 2019, l'Euro 2020 masculin (quatrième arbitre), les JO 2020 féminins, l'Euro 2022 féminin, la Coupe de France 2022, sans oublier ses premiers pas en Ligue des Nations et en Ligue des champions masculine... À 38 ans, la cheffe de file de l'arbitrage féminin tricolore (licenciée à l'AS Herblay, en Ligue Paris-Île-de-France) s'affirme encore aujourd'hui un peu plus parmi l'élite mondiale

Les arbitres français à la Coupe du monde

« Comment avez-vous réagi à l'annonce de votre sélection pour cette Coupe du monde ? 
J'ai été très émue d’apprendre ma désignation. Que l’on soit joueur, arbitre ou coach, tout le monde veut être à une Coupe du monde. Il y a beaucoup de concurrence sur les compétitions masculines et très peu d’élus. C’est le Graal absolu. La FIFA a sélectionné six Français, c'est très valorisant pour notre arbitrage et le travail effectué. 

Les désignations au plus haut niveau se succèdent pour vous. Cela réussit encore à vous surprendre ? 
Oui, je ne m’y attendais pas forcément. Quand on officie en Ligue 1, on essaye d’aller chercher quelques matches européens, mais là aussi, je ne m’attendais pas forcément à arbitrer en Ligue des champions chez les garçons. Maintenant, j'ai de plus en plus de matches. On essaye toujours d'aller plus haut. UEFA, FIFA...Je me disais, ''pourquoi pas ?''. 

On vous sent très « zen » par rapport à tout ce qui vous arrive depuis quatre ans.
Oui, je m'efforce de prendre du recul par rapport aux événements, mais j'ai sans doute aussi encore un peu de mal à réaliser tout ce qui se passe pour moi. Je sais que je vis des moments inoubliables, dont je prendrai vraiment conscience une fois ma carrière terminée. C'est davantage du professionnalisme que du détachement. Il y a le moment de la surprise, de l'émotion, mais je prends rapidement la mesure des enjeux et après, l'objectif est d'être performante sur le terrain. Comme tout arbitre, je pense, on vit l'événement un peu avant et on le vit après, mais pendant on est vraiment « focus » dessus, on a du mal à vivre son athmosphère. 

Que gardez-vous des compétitions ou finales auxquelles vous participez ?
Mes médailles, des maillots d'arbitre, des ballons de finale et des mascottes, aussi. Je n'en garde pas trop mais j'ai une armoire où je mets quelques souvenirs et trophées pour plus tard. 

Le 7 mai dernier, Stéphanie Frappart est devenue la première femme à arbitrer une finale de la Coupe de France (photo Tim GUIGON/FFFF).

Les joueurs ont eu peu de temps pour préparer ce Mondial, le problème a-t-il été le même pour vous ?
Pour nous aussi, les championnats et les matches européens ont continué entre le moment de la désignation et le départ pour la compétition, on est de plus en plus sollicités également. Le temps de préparation a donc été beaucoup plus court, en effet. Mais le timing est un peu différent. Nous sommes arrivés à Doha le 9 novembre pour un stage à la fois athlétique et physique, ce qui nous a laissé un peu de temps pour nous acclimater. 

Contrairement à vos collègues centraux masculins, vous ne faites pas partie d'un trio déjà constitué. Cela modifie-t-il quelque chose ?
Les arbitres féminines sont un peu habituées à ce type d'approche lorsqu'elles vont sur des compétitions internationales, même si pour ma part je commence à avoir un trio fixe aves des assistantes françaises. On est donc souvent dans l'adaptabilité. De toute façon, les process et la communication sont les mêmes. Je m'adapterai en fonction des désignations.  

Les compétences doivent faire qu'il y aura plus ou moins de femmes au gré des compétitions.

 

La FIFA a fait appel à six arbitres femmes pour cette Coupe du monde. C'est une première. Pierluigi Collina, président de la Commission des arbitres de la FIFA, souhaite que cette présence féminine ne soit plus considérée comme une exception mais devienne la règle. 
Oui, j'ai lu ce qu'il a dit. Il souligne aussi que notre présence est le résultat de nos prestations en tant qu'arbitres, tout court, et je suis d'accord avec ça. Les compétences doivent faire qu'il y aura plus ou moins de femmes au gré des compétitions. Cela doit être la règle, on doit juger par rapport à ça. S'il y en a plus, tant mieux, et s'il y en un peu moins, il ne faudra pas s'en offusquer. 

L'objectif est de parvenir à banaliser la présence d'arbitres femmes ?
C'est toujours le discours que j'ai tenu depuis que j'ai été promue en Ligue 1 et je crois que l'on y parvient progressivement. Laissons aux femmes la possibilité de montrer leurs aptitudes et d'être jugées sur celles-ci. Cela se banalise aussi au niveau européen, l'Italie a franchi cette étape récemment [Maria Sole Ferrieri Caputi est devenue le dimanche 2 octobre dernier la première arbitre féminine à diriger un match de Série A italienne, entre Sassuolo et la Salernitana]. Un grand pas en avant a été accompli hier, maintenant nous avons pris place dans le paysage du football.

Vous avez toujours refusé de tenir un rôle de pionnière ou de porte-drapeau de l'arbitrage féminin.
Je ne me sens pas investie de ce rôle, c'est vrai, mais je sais que mon parcours est important pour les jeunes filles, ou même les garçons, qui veulent se lancer dans l'arbitrage. Cela leur permet de voir que tout est possible quand on en a la volonté et que l'on bosse. Il faut y aller ! On peut aussi s'épanouir dans l'arbitrage quand on est passionné de foot. 

Stéphanie Frappart en Ligue des champions, une image désormais habituelle sur la scène internationale (photo SUSA/ICON SPORT).

Vous vivez votre quatrième saison en Ligue 1. Comment pouvez-vous décrire votre relation avec les joueurs, entraîneurs et dirigeants ?
J'ai toujours été très bien accueillie par tous les acteurs, quels qu'ils soient. Je suis quelqu'un d'assez sereine, qui discute un peu avec les joueurs. La relation est plutôt cordiale et toujours bienveillante. Avec quatre descentes en fin de championnat, on sent que la saison est un peu plus électrique, que les enjeux sont plus importants. On essaye que tout le monde garde son calme, d'être cohérent et ouvert, mais on sait qu'il y aura de la contestation si l'on prend de mauvaises décisions. Les joueurs sont des compétiteurs et dans un match où tout le monde veut vraiment gagner, c'est parfois difficile.

Il faut garder les pieds sur terre et rester concentré sur ce que l'on fait.

 

Sans trahir de secrets, qu'avez-vous mis dans vos sacs ou valises en prévision de cette Coupe du monde ? 
Je ne suis pas de nature superstitieuse, donc rien de très particulier. Il y avait surtout l'attirail dont on a besoin pour arbitrer régulièrement, sifflets, cartons, etc. Quelques livres et films aussi. Pour occuper le temps, j'espère que l'on pourra aller voir quelques matches, les stades étant tous assez rapprochés. On a envie de profiter de l'événement à la fois sur le terrain mais aussi en dehors. 

À quoi pouvez rêver encore, après ? 
Sincèrement, je ne sais pas. Je veux déjà profiter de cette première Coupe du monde et engranger beaucoup d'expérience auprès de collègues plus aguerris qui me servira à évoluer encore, tout en prenant du plaisir. Les joueurs disent souvent qu'ils prennent les matches les uns après les autres. C'est aussi vrai pour nous. Un match inabouti ou une mauvaise décision prise en une fraction de seconde peut stopper votre carrière. Des collègues ont connu ça. Il faut garder les pieds sur terre et rester concentré sur ce que l'on fait.

Pourquoi pas la finale ?
Oh non, pas du tout ! Je n'en fais pas un rêve. Une Coupe du monde réussie ne passe pas forcément par une finale. Nous serons aussi tributaires des résultats de l'Équipe de France et on est tous supporters des Bleus ! »

Six arbitres femmes

Arbitres centrales

  • Stéphanie Frappart (38 ans, France)
  • Salima Mukansanga (34 ans, Rwanda)
  • Yoshimi Yamashita (36 ans, Japon)

Arbitres-assistantes 

  • Neuza Back (38 ans, Brésil)
  • Karen Diaz (38 ans, Mexique)
  • Kathryn Nesbitt (34 ans, États-Unis)

 

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