FORMATION

Le Made in France, c’est du solide

lundi 25 décembre 2023 - 10:07 - RÉDACTION
50 ans de la formation française

Membres de la Direction technique nationale, conseillers techniques régionaux et départementaux... Ces professionnels méconnus du grand public travaillent, dans l’ombre, à la détection et à l’éclosion des talents. Leurs témoignages éclairent un savoir-faire français reconnu dans le monde entier.

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 Organisation professionnalisée et maillage serré 

Entre la métropole et les territoires ultramarins, entre les zones urbanisées et les régions rurales, la France peut s’appuyer sur un réservoir de jeunes talents qui suscite l’admiration à travers le monde. Cette capacité presque inépuisable à former des joueurs de haut niveau est le fruit d’un système mis en place à partir des années 1970, sous l’impulsion de Georges Boulogne, le premier Directeur technique national du football français. Une organisation très pointue qui sera modernisée au fil des années par les successeurs du créateur de l’INF Vichy, dont Gérard Houllier (1988-1998, puis 2008-2010), Aimé Jacquet (1998-2006) et aujourd’hui Hubert Fournier, qui pilote la DTN depuis 2017.

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Dans l’esprit de tous ces « patrons du jeu », la phase de détection a toujours dessiné l’un des piliers majeurs d’une stratégie visant à organiser le système de formation et d’en fixer les grandes lignes directrices. La France est un territoire passé au peigne fin par les dénicheurs de talents en lien, de près ou de loin, avec la DTN. « Le pays dispose d'un réseau dense de 13 000 clubs, ce qui offre une large base pour détecter les talents dès leur plus jeune âge », observe Patrick Pion, le DTN adjoint.

Au niveau local, sous l’égide de la FFF, la Direction technique nationale va s’appuyer sur 13 directions techniques régionales et les 90 commissions techniques départementales. Le maillage du territoire est ainsi assuré par un peu plus de 300 conseillers techniques qui, eux-mêmes, vont faire appel à un réseau d’entraîneurs de clubs chargés de compléter la remontée des informations pour essayer de ne pas laisser le moindre talent en devenir sur le bord de la route.

« Au fil des trente dernières années, les méthodes de détection des talents ont beaucoup évolué, souligne Gérard Sergent, conseiller technique départemental Côte d’Opale. Initialement, la détection était gérée par des bénévoles dans les districts, aidés par des référents de secteur. Désormais, cette tâche s’est professionnalisée et est confiée à des conseillers techniques départementaux. Dans une région comme les Hauts-de-France, la coordination avec les commissions techniques et les référents de secteur devient un enjeu majeur car on peut avoir jusqu’à 60 000 gamins dans un secteur comme la Flandre. Il faut des antennes un peu partout et entretenir de bonnes relations avec les clubs. »


Photo Archives FFF

Chaque année, des milliers de jeunes footballeurs cherchent ainsi à être repérés, notamment lors de journées de détections destinées à évaluer leur potentiel à travers des ateliers techniques et physiques, ainsi qu’en conditions de match. Certains jeunes prometteurs sont alors orientés vers des structures labellisées FFF au sein d’établissements scolaires. Ces sections sportives scolaires – qui accueillent 33 000 élèves, dont 5 100 jeunes filles – servent à augmenter le volume d’entraînements des joueurs tout en veillant attentivement au suivi de leur scolarité.

Explications de Patrick Pion : « Nous avons mis en place un peu plus de 1 000 sections sportives dans les collèges et les lycées pour identifier et former les meilleurs talents dès  12 ans. Ils sont ensuite placés dans les Pôles Espoirs régionaux, des structures qui visent à réunir trois ingrédients essentiels à la réussite d’un gamin au plus haut niveau : 1. S’entraîner plus, avec cinq séances hebdomadaires bien encadrées ; 2. Un accompagnement scolaire de qualité ; 3. Des compétitions d’un bon niveau avec la volonté de chercher à concentrer les talents plutôt qu’à les disperser entre un trop grand nombre de clubs. »

Pour certains éléments sortis des Pôles Espoirs ou issus des centres de préformation mis en place par les clubs professionnels, viendra ensuite l’heure de passer à l’étape « ultime » de leur process de développement, l’antichambre du monde professionnel : intégrer l’un des 40 centres de formation du pays, dont 6 sont aujourd’hui dédiés au football féminin.

Chiffres clés 

350
Conseillers techniques pour détecter, orienter et accompagner les joueurs
700
Joueurs en centres de formation par génération
280
Joueurs en pôles espoirs par génération
130
Joueurs professionnels par génération

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 Bien former les éducateurs pour bien former les joueurs 

Peut-on devenir un bon joueur sans être encadré par de bons entraîneurs ? La réponse est sans doute dans la question. Le succès de la formation française s'explique aussi par la qualité des éducateurs, des formateurs. « Nos jeunes joueurs français ont la chance de travailler avec des formateurs de qualité », résume Hubert Fournier. « Les formations ont été revues pour améliorer la qualité des entraîneurs à tous les niveaux, même dans les divisions amateurs », abonde Lionel Rouxel, le responsable des sélections masculines de jeunes à la FFF. « L'accent est mis sur une formation de qualité des éducateurs, à tous les niveaux, des petits clubs jusqu’aux clubs phares, complète Patrick Pion. Bien que nous ayons plus de 40 000 entrées en formation d’éducateurs chaque année, le secteur est confronté à un fort taux de turnover. Il faut donc avoir cette donnée en tête, et que chaque éducateur mesure qu’il faut du temps et de l’expérience pour devenir un entraîneur compétent. »

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 Le mental au cœur des critères de détection… 

« Les priorités pour la formation des jeunes talents en France sont multiples, note Hubert Fournier. Il faut, par exemple, se concentrer sur certains postes où il y a des lacunes, mais aussi s’adapter aux exigences changeantes du football mondial. Notre objectif est de former des joueurs capables de réussir dans différents systèmes de jeu. Notre formation fournit une "boîte à outils" à nos jeunes joueurs, qui s’avèrent ensuite capables de répondre aux différents besoins des entraîneurs qui vont les manager, en France ou à l’étranger s’ils sont amenés à partir un jour. » Dit autrement, il s’agit de fournir aux jeunes le plus large bagage possible. « On forme un joueur avec l’ambition que sa carrière s’étire sur quinze ans, pas pour qu’il connaisse seulement le système de jeu « à la mode » pendant sa période de formation », poursuit le DTN.

Si le football français contemporain a forgé sa réputation sur un mélange de justesse technique et d’impact physique, le mental s’impose comme un critère prédominant à l’heure d’évaluer le potentiel d’un jeune joueur. « Au-delà des qualités physiques et techniques, l'aspect mental est devenu pour nous le critère de détection le plus important, affirme même Patrick Pion, le bras droit d’Hubert Fournier. Celui qui le démontre le mieux est le sélectionneur des A. Quand Didier Deschamps dit que ''la première qualité, c’est la mentalité, l’esprit d’équipe'', cela nous donne comme une ligne directrice qu’on va diffuser ensuite auprès de tous les éducateurs qu’on forme dans les territoires. Un projet de jeu doit ainsi démarrer par des règles incontournables, par un système de valeurs qu’on martèle et qu’on grave dans le marbre. » 

 … et des espoirs de ceux qui mûrissent plus tard 

Tous les recruteurs le soulignent : il est très difficile de juger un joueur à peine entré dans l’adolescence, et il faut toujours garder un œil sur ceux à maturité tardive. « Il faut garder en tête que les enfants ne progressent pas tous au même rythme, insiste Ali Moucer, Directeur technique régional Île-de-France. Parfois, on identifie des jeunes dès 12 ans pour leur vivacité ou leur technique mais ils peuvent être jugés en retard sur le plan morphologique. Ces jeunes-là vont peut-être percer plus tard. »

Des exemples ? Il suffit de regarder du côté de l’équipe de France A... Ali Moucer : « Au début, Christopher Nkunku a eu du mal à franchir certaines étapes à cause de son gabarit jugé trop petit. A 18 ans, Randal Kolo Muani jouait encore dans un club amateur francilien. Difficile, donc, de ressortir une vérité unique en matière de détection. L’important, c’est que les jeunes joueurs sachent qu’il n’y a pas un chemin unique pour réussir ! » En s’imposant plus tardivement au plus haut niveau, ces joueurs ont prouvé, par leur persévérance, que le mental était bien l’allié le plus précieux des footballeurs d’aujourd’hui.


Ali Moucer, Directeur technique régional Île-de-France (photo Sandra RUHAUT / ICON SPORT).

Hubert Fournier, en écho : « Il faut prendre en compte des facteurs tels que la morphologie et le développement mental des jeunes. Certains joueurs pourraient avoir besoin de plus de temps pour être repérés par les grands clubs. C'est pourquoi il faut continuer à les observer et à les accompagner sur le long terme et ne pas se focaliser sur une performance à l’instant T. Il faut toujours garder beaucoup d’humilité car on peut se tromper, parce qu’on ne peut pas maîtriser tous les paramètres du développement d’un joueur, notamment son environnement familial. » 

Responsable des sélections masculines de jeunes à la FFF et sélectionneur cette saison des U19, Lionel Rouxel place même l’encadrement familial au sommet des critères de réussite pour un jeune talent qui ambitionne de jouer au haut niveau : « C’est déterminant ! Les parents, parfois, ont des ambitions irréalistes pour leurs enfants, comme les envoyer à l'étranger à 17 ans sans préparation préalable. Il faut passer par des étapes bien planifiées pour réussir. Ce n'est pas seulement le jeune joueur qui est impliqué dans son processus de formation, mais tout un entourage composé de parents, d’agents et autres conseillers. Pour connaître un peu la famille Mbappé, je sais l’implication positive des parents dans le parcours de leur fils, longtemps resté dans le même club (AS Bondy), avec le même encadrement. »

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 Pour la détection française, une triple ambition 

Développer le réseau chez les filles 

Six centres de formation et huit Pôles Espoirs (Clairefontaine, Blagnac, Strasbourg, Liévin, Lyon, Mérignac, Rennes, Tours) : peu à peu, la toile de détection et de formation du football féminin s’étend à travers le pays. « Chez les filles aussi, nous allons créer un Pôle Espoirs, qui prendra la suite des sections sportives d’excellence du collège, indique Gérard Sergent, le CTD Côte d’Opale et sélectionneur de l’équipe de France féminine U17 de 2003 à 2008. Avec l’essor du football féminin, nous devons être encore plus vigilants et pointus dans notre recrutement. Les investissements et les efforts déployés sont donc les mêmes, que ce soit pour les garçons ou pour les filles. » 


Photo SPORTPACK / FFF

S'étendre dans les zones rurales 

Patrick Pion décrit l’un des horizons tracés par la DTN pour les prochaines années : « Nous allons travailler à l'amélioration des structures rurales et ultramarines car ces régions sont aussi d’importants viviers de talents. Dans ces territoires, il faut investir davantage en temps et en ressources pour que des enfants dotés de qualités, mais isolés dans de petits villages, puissent s’entraîner davantage, disposer de meilleurs éducateurs et disputer de meilleures compétitions. Sans chercher, bien sûr, à déraciner ces gamins de leur famille. »

Comment la FFF, via ses structures locales, peut-elle donner une chance aux enfants des campagnes attirés par le ballon rond ? « Par exemple, on pourrait réunir les dix meilleurs de quatre ou cinq villages et leur proposer de participer, près de chez eux, à deux séances de 45 minutes en plus par semaine. Cela suppose donc de trouver des éducateurs de qualité, qui accepteraient de donner un coup de main dans ces centres de perfectionnement ruraux. Si on travaille bien dessus, on aura de très belles surprises d’ici à quelques années. »

Combler le manque de latéraux 

Le poste de défenseur latéral doit faire l’objet d’une attention particulière. « On a des bons gardiens préparés par de bons entraîneurs spécialisés, on a aussi beaucoup des défenseurs centraux, des milieux et attaquants axiaux, analyse Lionel Rouxel. Il faut former davantage de très bons joueurs de côté, en particulier des défenseurs, capables de  courir vite et à répéter les efforts. » Dans un contexte ultra-concurrentiel sur le chemin du professionnalisme, l’espoir pourrait donc passer un couloir…

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