D1 ARKEMA

Tanya Romanenko : « Le présent, c’est ça la vie » 2/2

samedi 2 avril 2022 - 10:00 - Claire GAILLARD à Reims
Tanya Romanenko Help Ukraine

Second volet de l’entretien accordé par la latérale de Reims, en déplacement à Montpellier ce samedi. Elle salue le mouvement de solidarité qui s’est enclenché, liste les besoins, parle de son Ukraine et confie ses espoirs.

« Comment se porte German, votre neveu ?
(Son visage s’illumine) Il aura 1 mois le 7 avril. Il ressemble à mon frère et a les yeux de ma belle-sœur. C’est déjà un très grand bébé avec de belles joues et de longues jambes. Comme mon frère. J’ai hâte de le prendre dans mes bras. 

« Le 7 mars, lorsque mon neveu est né, mon petit ami m’a dit : ‘‘German, c’est l’homme de la guerre’’. Les enfants, c’est toujours la joie, la lumière. »

 

Est-ce le bébé de l’espoir ? 
On ne savait pas ce qui allait nous tomber dessus. Ils ont trouvé le prénom lorsque ma belle-sœur était enceinte de trois mois donc ce n’est pas lié à la situation. Mais lorsqu’il est né, mon petit ami m’a dit : ‘‘German, c’est l’homme de la guerre’’. Les enfants, c’est toujours la joie, la lumière. 

Cette lumière vous espérez la retrouver dans votre quotidien ? 
(D’un ton déterminé) Je veux les faire venir mais c’est complexe à organiser. Né pendant la guerre, mon neveu n’a qu’un acte de naissance mais pas encore de papiers d’identité. On s’est renseigné auprès de la compagnie aérienne, ils nous ont renvoyés vers l’ambassade mais l’ambassade reçoit des millions d’appels ! On a su qu’une famille dans la même situation avait réussi à passer. On va le tenter. J’ai étudié toutes les possibilités et c’est mieux que d’aller les chercher en voiture ou qu’elles prennent le train avec un nourrisson. Croyez-moi, maintenant, je connais toute la géographie de Roumanie, les itinéraires des trains, leurs horaires de départ (elle rit). Je prie pour qu’elles passent. Je les attends autour du 7 avril.


Contre Bordeaux cette saison (photo Pierre COSTABADIE / ICON SPORT).

Vous êtes la seule joueuse ukrainienne évoluant en D1 Arkema. Vous considérez-vous comme une « porte-parole » ?
Oui. Au début, je me suis demandé si je devais le faire mais j’ai hésité cinq secondes. Plus tu parles, plus les gens entendent et comprennent ce qu’il se passe. Beaucoup de Français ne sont pas au courant. Quand je peux, j’essaie d’expliquer la situation sur Instagram. Des gens m’ont par exemple demandé ce que signifiait Z (*). Ça veut dire qu’ils ne regardent pas la télévision. Quand des gens lisent les articles, s’informent, ils se mobilisent ensuite pour les collectes, l’aide humanitaire, les dons… 

« Quand tu vois tous ces inconnus colorés en jaune et bleu, ça donne de la force, de l’espoir et le courage de continuer à protéger ton pays. »

 

En parlant de collecte, une très importante a eu lieu à votre initiative et celle du Stade de Reims…
Il fallait que je fasse quelque chose sinon j’allais devenir folle. Avec plusieurs personnes qui voulaient s’impliquer, on a envoyé un premier bus puis j’ai demandé au club et au président (Jean-Pierre Caillot) de m’aider. Dès la première journée, on a eu de quoi remplir un camion entier ! Au total, neuf sont partis en Ukraine. Quatre d’entre eux étaient remplis de vêtements, il y avait aussi des denrées non périssables, des caisses de pommes de terre, des couches pour les bébés… On ne s’y attendait pas. C’était énorme mais entre la semaine dernière et aujourd’hui, il y a déjà deux personnes qui m’ont appelé pour me dire que les stocks étaient quasiment vides. Ils m’ont demandé si on pouvait aider de nouveau, j’ai transmis le message à mon président. La nourriture va manquer. 

 

Comme Reims ou d’autres clubs pros, le monde amateur se mobilise. Comment accueillez-vous cet élan de solidarité ?
Cela me touche. Quand tu vois tout le monde derrière toi, tous ces inconnus colorés en jaune et bleu, ça donne de la force, de l’espoir et le courage de continuer à protéger ton pays. 

La FFF a adopté la décision de la FIFA permettant l’accueil des joueuses ukrainiennes ou de joueuses étrangères jouant en Ukraine dans les clubs de D1 et D2…
Je n’y croyais pas et je suis heureuse que ce soit possible. On aurait aimé prendre deux ou trois joueuses mais une, c’est déjà bien. Iryna Kochnieva nous a rejoint hier (mardi après-midi). C’est une milieu offensive, n°10, qui est en sélection. Je l’héberge jusqu’à mardi où elle aura son logement et l’aide à s’intégrer car elle parle un peu anglais mais ne maîtrise pas le français. Depuis le début de la guerre, elle était entre Ukraine, Turquie puis Allemagne.


L'internationale ukrainienne Iryna Kochnieva a rejoint le Stade de Reims cette semaine (photo Claire GAILLARD / FFF). 

On comptabilise plus de 4 millions d’exilés. Comment les aider ?
Les Français sont très généreux. Beaucoup de gens accueillent sans rien demander. C’est la meilleure façon de tendre la main. Peut-être que comme avec la femme de Marioupol, il faut passer plus de temps avec les réfugiés. Quand leur enfant est à l’école – puisqu’ils vont devoir les scolariser – ils vont revivre dans leur tête ce qu’ils ont vécu. Il faut un accompagnement psychologique. Je sais qu’en France, vous n’êtes pas trop comme ça mais si la personne a besoin d’un câlin, faites-le-lui ! (Elle sourit) Il faut être plus démonstratif. On est un peu plus chaleureux en Ukraine, c’est culturel. Il s’agit de montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls.

« Je sais qu’en France, vous n’êtes pas trop comme ça mais si la personne refugiée a besoin d’un câlin, faites-le-lui ! (Elle sourit) Il s’agit juste de montrer qu’ils ne sont pas seuls. »

 

Vous êtes née à Odessa, l’une des premières régions bombardées par les Russes. Racontez-nous votre Ukraine ?
Quand je suis en vacances, je retourne toujours là-bas. J’ai trois villes préférées. 1) Kiev, j’adore. C’est la liberté, la modernité. 2) Odessa, c’est la joie. On l’appelle ‘‘La petite Marseille’’. Il y a la mer, le soleil. On a le boulevard des Français et il y a eu des gouverneurs français On y trouve un mélange de nationalités. 3) Lviv, c’est un mélange de culture polonaise et ukrainienne. Les petites rues, les bâtiments anciens… L’Ukraine, c’est un pays qui grandit. On a des montagnes, la mer… C’est juste que ce n’est pas connu. Pour moi, l’Ukraine, c’est une fille qui essaie d’être libre et moderne. 

Que représente le football pour vous à ce jour ?
Quand la guerre a commencé, c’était trop difficile de se concentrer plus de trois minutes. J’avais la tête ailleurs, j’ai même oublié une réunion avec l’équipe. Les trois premiers matches qui ont suivi ont été compliqués. Tu n’as pas envie de jouer. Sur le terrain contre Lyon, des flashs me revenaient en tête. Tu te dis : ‘‘Il y a des gens qui meurent et moi, je joue ?’’ Mais c’est ton travail et tu le fais. J’ai joué pour mon équipe et pour mon pays. Au final, le foot m’a aidé à dépasser ça psychologiquement. À l’entraînement et lors des matches, tu évacues l’adrénaline et ça fait du bien. 

Quel message avez-vous envie de faire passer ?
Vivez le moment présent à 100%. Je comprends qu’on ait envie de réfléchir et de faire des projets mais restez dans le présent car c’est ça, la vie. Et profitez. »

(*) Un symbole de soutien à l’armée russe.

 Le programme de la 18e journée : 

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