Équipe de France – Coupe du monde 1998

Djorkaeff : « Dès le couloir, on faisait deux têtes de plus… »

mercredi 12 juillet 2023 - 16:30 - RÉDACTION
France-Brésil finale Coupe du monde 1998

Vingt-cinq ans jour pour jour après le premier sacre des Bleus en Coupe du monde, le 12 juillet 1998, Youri Djorkaeff raconte le parcours historique de la bande à Aimé Jacquet. ÉPISODE 6, la finale face au Brésil au Stade de France.

  FRANCE-BRÉSIL  

  3-0, le 12 juillet 1998, Saint-Denis, Stade de France)  

« Quand tu te réveilles, tu sens que ce n’est pas un matin comme les autres. Ce ne sera pas une journée comme les autres et, autour de moi, je dirais qu’il n’y a pas un joueur comme les autres. Cela fait alors deux mois qu’on vit ensemble. On se connaît par cœur : on sait quand il faut parler, quand il faut respecter les silences. Je me souviens de la veille de la finale, de ce dernier entraînement où nous n’allons pas forcément beaucoup travailler. On fait essentiellement une petite mise en place. Ce qu’on veut avant tout, c’est profiter de l’instant, « chiller » entre nous. On se sent tous bien, à bloc, inébranlables, alternant rigolades et attitudes sérieuses. Surtout, nous sommes très concentrés.

Ce matin du 12 juillet, on colle la photo de Frank Lebœuf sur un mur de Clairefontaine, où on le voit en train de parler avec Slaven Bilic, le joueur croate à l’origine de l’expulsion de Laurent Blanc. C’est histoire de lui mettre gentiment la pression tout en détendant l’atmosphère, une façon de lui dire : « Frankie, on compte sur toi ! » 

Tous ces gens dans les voitures, sur les motos qui nous montrent toute leur ferveur… Il n’y a plus un bruit dans le bus comme si chacun voulait tout absorber de ce moment rare.

 

En fait, ce 12 juillet, c’est le jour que tu as attendu toute ta vie. Chaque minute, je vais la vivre intensément et, quelque part, je ne suis pas pressé de quitter le Château pour aller au Stade de France. Quoi qu’il arrive, on sait que, le lendemain, il n’y aura plus ces bons moments à l’entraînement ni ces instants partagés sur la terrasse à discuter de tout et de rien.

Un moment énorme, c’est le départ de Clairefontaine. On dit au revoir au personnel, on rentre dans le bus et là, wow ! Il y a tellement de monde venu nous encourager que le bus avance très difficilement ! Les quelques motards ne suffisent pas, les gens sont surexcités par l’événement. On arrive sur le périphérique et je n’avais jamais imaginé ça : tous ces gens dans les voitures, sur les motos qui nous montrent toute leur ferveur… Il y en a même qui descendent des voitures et qui courent derrière le bus en plein sur le périph’ ! À l’intérieur, il n’y a plus un bruit dans le bus comme si chacun voulait tout absorber de ce moment rare. Et, en même temps, le bus est tellement ralenti qu’on finit par se dire : « On va louper la finale ! » (Il rit).

Aux abords du Stade de France avant le coup d’envoi (photo Éric Renard/Icon Sport).

Une fois au stade, on s’enferme dans le vestiaire. C’est à ce moment-là que je mesure tout ce qu’il se passe autour de Ronaldo, dont j’étais proche. Cela fait un an que l’on joue ensemble à l’Inter Milan. Après chaque entraînement avec notre club, on aimait se projeter sur une finale France-Brésil en 1998. Je demande à aller dans le vestiaire des Brésiliens pour prendre des nouvelles. Ronaldo en sort et je lui demande : « Il se passe quoi ? Tu ne peux pas me lâcher maintenant. » Il me répond : « Non, c’est bon, j’ai eu des petits soucis dans la journée, mais tout est ok maintenant. Je suis prêt. » Je lui dis : « Tu as plutôt intérêt à l’être car nous, nous sommes prêts… » C’est important d’être rassuré sur sa présence : je ne veux surtout pas gagner sans Ronaldo sur le terrain.

Quand je retourne dans notre vestiaire, je me replonge dans ma préparation. Depuis le début de la Coupe du monde, j’ai un rituel, celui d’enfiler une paire de chaussures neuve à chaque match. Avant cela, je commence toujours par mettre ma chaussette droite, puis la gauche... Des petites superstitions, comme le fait de manger le même truc lors de la collation d’avant-match. Mais, le jour de la finale, dans le vestiaire, je décide de faire tous mes grigris à l’envers. Je commence par la chaussette gauche, etc. Je ne veux pas me polluer l’esprit avec le moindre détail que j’aurais oublié de faire dans l’ordre habituel. Non, on va jouer une finale de Coupe du monde et il ne faut penser qu’à notre objectif.

On les « mange » dans toutes les lignes. On réalise tous le match parfait dans les replacements, le pressing.

 

Un des plus beaux moments, c’est lorsque nous nous retrouvons juste avant le match, dans le couloir qui mène au terrain. Il n’y a plus personne, peut-être juste une caméra qui filme l’alignement des joueurs. Les Brésiliens arrivent en se tenant par la main, tellement beaux dans leur maillot or et vert. Et là, on se sent au-dessus d’eux, avec deux têtes de plus, comme si on était en train de gagner cette finale dans le couloir. C’est un moment important, là où tu jauges l’adversaire, où tu laisses ta première empreinte (photo principale)

Ce qu’on ressent alors, c’est que leurs regards ne transpirent pas la même confiance que les nôtres. Et tout cela va se traduire dès le début du match, à travers notre domination très nette de la première mi-temps : dominations physique, tactique, technique, mentale. On ressort tous nos ballons proprement et, quand ils sont en phase de possession, on les presse partout sans relâche. On les « mange » dans toutes les lignes. On réalise tous le match parfait dans les replacements, le pressing.

1 000
le troisième but de la finale, marqué par Emmanuel Petit, est le millième de l’histoire des Bleus
2
Zinédine Zidane troisième joueur à inscrire un doublé en finale, après les Brésiliens Pelé et Vava
3
plus grand écart de buts en finale de Mondial avec Brésil-Suède 1958 (5-2) et Brésil-Italie 1970 (4-1)

Avant le match, on avait beaucoup travaillé les coups de pied arrêtés, qu’Aimé avait bien identifié comme leur point faible. Leur marquage en zone laissait apparaître quelques failles. On va le voir sur notre premier corner, côté droit, que « Manu » Petit va tirer de son pied gauche pour cette trajectoire rentrante que « Zizou » prend de la tête pour ouvrir le score. Bien sûr, on célèbre le but mais sans se dire que le plus dur est fait. Non, il faut poursuivre le travail entamé. 

Deuxième corner, côté gauche cette fois. Normalement, c’est « Zizou » qui les tire de ce côté et, moi, je me poste à l’entrée de la surface à la retombée du ballon. Mais là, je lui dis : « Attends, laisse, je vais le tirer celui-là… » C’est une façon de prendre mes responsabilités, avec un entraîneur qui sait nous laisser cette latitude. Je dis à Zidane d’aller se replacer à peu près dans la même zone que sur le premier but. On connait la suite : corner rentrant et boum !, deuxième but de la tête de « Zizou ». Là, on se dit qu’on est vraiment sur un bon chemin. Un moment très fort. D’ailleurs, c’est notre célébration après ce but, où on nous voit Zidane et moi, avec Petit en arrière-plan, qui sera sur la célèbre photo en « une » de L’Équipe le lendemain matin.

On mène donc 2-0 à la mi-temps et pourtant, dans le vestiaire, on s’embrouille tous ! (Il rit). C’est pour des broutilles, du genre l’un qui dit à l’autre : « Faut rien lâcher ! ». Et l’autre qui répond : « Ben oui, pourquoi tu me dis ça ? » Il y a cette tension hors norme qui fait qu’on est dans des réactions exacerbées et des émotions pas toujours contrôlées. Aimé va nous laisser nous embrouiller un petit moment et, d’un coup, on va l’entendre hurler : « Taisez-vous ! Je ne veux plus vous entendre ! » D’un coup, le silence se fait… Le sélectionneur va alors nous dire tous les ajustements nécessaires en vue de la seconde période. 

Youri Djorkaeff et Zinedine Zidane après le deuxième but tricolore, inscrit de la tête du second sur un corner tiré par le premier (photo Action Images / Icon Sport).

Quand tu retournes sur le terrain, tu sais que le Brésil est capable de revenir au vu des talents qui composent cette équipe, y compris sur son banc de touche. On sait que, si cette équipe marque un but, elle nous fera souffrir. Notre objectif est donc de bien défendre. On va faire quelque chose qui n’était pas dans nos habitudes depuis le début de cette Coupe du monde : on va redescendre d’un cran et défendre à la vie, à la mort. Tous les joueurs, sans exception. On sait que cette tactique pourrait nous offrir des espaces pour frapper en contre, et c’est ce qui se passera sur le troisième but de « Manu » Petit.

3-0 : jamais nous n’aurions pu imaginer une telle victoire en finale contre le Brésil… Quand l’arbitre siffle, c’est la délivrance. Sur le moment, j’ai des flashs qui me reviennent de toutes les finales de Coupe du monde que j’avais regardées à la télé, gamin : l’Argentine en 1978 et 1986, l’Italie en 1982… Je me souvenais de la joie des vainqueurs, de tous ces joueurs qui ont alors un visage différent, qui exprime une émotion unique. Quelque chose d’inhumain, d’une certaine façon, et qui n’arrive qu’une fois dans ta vie. Alors, oui, je pense alors à Pelé, à Maradona, à d’autres, et je me dis que je fais désormais partie d’un cercle très fermé, une élite du football. 

On sait que nous sommes les premiers Français à y parvenir et à entrer à jamais dans l’Histoire. On veut rester sur le terrain le plus longtemps possible car on mesure que c’est la fin d’une aventure magnifique. On savoure chaque seconde, chaque geste, chaque sensation : tenir entre les mains la Coupe du monde, tellement belle, l’embrasser, la soulever, la partager, courir avec aux côtés de tes potes, sentir l’émotion du public… Et tu mesures vite que ta vie ne sera plus jamais comme avant. »

Photo PPG/Icon Sport.

La fiche technique de la finale

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