LA SAGA DE LA COUPE DU MONDE

Edmond Delfour : « Fier de notre panache ! »

samedi 1 octobre 2022 - 09:00 - Richard LOYANT
Edmond Delfour

Quelques années avant son décès en 1990, le milieu du Racing Club de Paris était revenu dans un livre sur la Coupe du monde 1930 en Uruguay, la première de l’Histoire et des trois qu’il a disputées (*).

6
Matches de Coupe du monde disputés en quarante-et-une sélections
270
Minutes de jeu au Mondial 1930 (trois titularisations en trois matches)
570
Minutes de jeu en six matches de trois Mondiaux (1930, 1934 et 1938)

« Retenu pour le Mondial… sans avoir disputé de matches officiels en club.
Marcel Langiller et moi avions été punis pour fait de professionnalisme ! Lui appartenait au CA Paris, j'étais au Racing CP, mais titulaire d'une licence "B" qui nous interdisait de disputer des matches officiels. Je n'ai pas eu le droit notamment de jouer la finale de la Coupe de France contre Sète. (…) En définitive, on trouva une solution boiteuse en décidant d'officialiser un règlement pour "joueur amateur rétribué" alors qu'en Tchécoslovaquie, Autriche, Allemagne, Angleterre, Espagne, voire Roumanie, aux États-Unis et au Canada, entre autres, le professionnalisme était "accepté". Huit mois plus tard d'ailleurs (le 17 janvier 1931), on rattrapera la bêtise. En attendant, je manquais de compétition car je ne pouvais m'aligner que dans... l'Équipe de France. Un comble !

En Uruguay, les Bleus d’une résidence à l’autre.
Les installations du Rowing Club au quartier Pocitos étaient très vétustes, contrairement à ce que j'ai pu lire et entendre depuis cinquante ans. Pas fonctionnel du tout. Nous avons demandé à aller loger ailleurs. On nous proposa un autre endroit. Les installations étaient tout aussi précaires. Alors, nous sommes restés là. Se plaindre ? Faire un scandale ? Ça n'aurait rien changé. Nous étions trop "petits" et l'Uruguay était pauvre, à telle enseigne que la compétition achevée, le gouvernement décida de dévaluer le peso, une opération qui passa "comme une lettre à la poste" tellement l'enthousiasme et l'effervescence de la victoire finale avaient accaparé les esprits.

La fiche d’Edmond Delfour

Après avoir battu le Mexique (4-1), la France rencontre l’Argentine pour son deuxième match de poule. 
C'est alors que le terrible Luisito Monti entra en transes. À défaut de coup d'éclat, il plongea littéralement dans les jambes de Lucien Laurent qui resta au sol en se tordant de douleur, sa cheville ayant rapidement doublé de volume (à la deuxième minute du match). Ce fut d'autant plus écœurant que l'arbitre (le Brésilien Gilberto de Almeida Rêgo) ne siffla même pas un coup franc. Les jambes d’André Maschinot souffrirent à leur tour du traitement infligé par le demi argentin, qui se sentait visiblement "protégé". Mais le temps passait. Nous tenions toujours. Mieux, Ernest Libérati, qui avait réussi à échapper au marquage de son vis-à-vis, le puissant Pedro Suarez, un joueur très habile et correct, lui, fut à deux doigts de tromper Angel Bossio, le goal, qui avait été peu sollicité, il est vrai, jusque-là. 

Les Bleus alignés face à l’Argentine (de gauche à droite) : debout, Augustin Chantrel, Marcel Pinel, Alex Thépot, Marcel Capelle, Étienne Mattler, Alexandre Villaplane ; accroupis, Ernest Libérati, Edmond Delfour, André Maschinot, Lucien Laurent, Marcel Langiller (photo Archives FFF).

Le but argentin, auquel il est directement mêlé, et un match qui bascule.
Il restait dix minutes à peine à jouer. Le vent s'était levé et modifiait de plus en plus la trajectoire du ballon. Sur un tir en lob d'un attaquant, j'ai contrôlé le ballon avec la poitrine à une vingtaine de mètres des buts gardés par Alex Thépot. Rien de répréhensible. Or, l'arbitre estima que j'avais touché le ballon de la main et siffla la faute. Tandis que nous nous apprêtions à nous placer, Monti est arrivé à toute allure et sans que Almeida Rêgo lui en ait intimé l'ordre, il frappa en force et... marqua ! But accordé ! Alors de rage, dans un mouvement de révolte, on se lança à corps perdu dans la furieuse bataille qui se déroulait dans un climat que je vous laisse deviner volontiers. Sur un renversement d'attaque, Langiller se retrouva seul devant le goal argentin Bossio mais tira à côté. Moi-même, quelques secondes plus tard, je mettais légèrement au-dessus. Le temps de la remise en jeu et Langiller, encore lui, filait au but quand l'arbitre, qui venait de consulter son chrono, mit fin aux opérations.

Stupeur dans les tribunes et dans le camp français : l’arbitre a écourté la partie de huit minutes ! 
On rentra aux vestiaires dans la confusion la plus totale tandis que Thépot, André Tassin, Numa Andoire et Émile Veinante, accourus depuis le bord de la touche, parlementaient. S'étant aperçu de son "erreur", l’arbitre rappela tout le monde afin que le jeu puisse reprendre cependant que le capitaine argentin, Francisco Varallo, vaincu par toutes ces émotions, était emporté en vitesse auprès du médecin, en proie à une véritable crise de nerfs. On se rhabilla à la hâte et on disputa donc cette "prolongation" mais le bombardement intensif ne servit à rien. Le résultat était acquis. Nous étions battus. Il ne nous restait que ce dont nous étions le plus fier, à l'image de Cyrano de Bergerac : notre panache ! » 

Lire aussi :
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(*) Extrait de 1930-1982, La France et ses douze Coupes du monde, Guy Kédia et Roger Driès, RTL Edition 1982.

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